Cet article est issu du premier numéro de Pays, consacré à Saint-Malo et ses alentours.

Jeanne Devidal, Hou la la à Saint‑Lunaire

« La folle de Saint‑Lunaire ». C’est de cette manière indé­li­cate que l’on nommait Jeanne Devidal. Cette habi­tante de la station bal­néaire de la côte d’Émeraude a construit à partir de 1947 une maison hors du commun, consi­dé­rée comme une œuvre d’art. Jusqu’à ce qu’elle soit détruite.

Manon Boquen
Jeanne Devidal, devant sa maison, en 1977. — Pho­to­gra­phie : Mary Caillier.

« C’était l’attraction, tout le monde allait la voir », « On se faisait peur entre cousins à s’approcher et essayer de regarder à l’intérieur », « Elle était impres­sion­nante ». Il suffit de l’évoquer sur un groupe Facebook pour que les sou­ve­nirs reviennent. La maison de Jeanne Devidal, dans la bourgade de Saint‑Lunaire, a marqué une géné­ra­tion d’enfants en quête de sen­sa­tions fortes. Impro­bable, extra­va­gante, cette for­te­resse de bric et de broc, faite de murs en ciment, décorée de chaus­settes, de coquillages, de vieux bois et d’objets farfelus, fas­ci­nait. Pourquoi une telle construc­tion ? La question a hanté les esprits de la ville pendant une qua­ran­taine d’années. 

« Je m’étais rendue là‑bas en voyage scolaire étant enfant. Trente ans après, j’y suis retour­née et je me suis souvenue de la maison. Mais, dans ma tête, elle était impré­gnée de légendes et je ne savais plus démêler le vrai du faux », se souvient Agathe Oléron, réa­li­sa­trice d’un docu­men­taire sur le mystère Jeanne Devidal. Quelle part de rêve, quelle part de réalité ? « La maison n’était plus là, mais chacun avait sa propre histoire, son témoi­gnage à propos d’elle », s’émerveille encore la docu­men­ta­riste, qui a fait appel à la mémoire du voi­si­nage pour enquêter sur cette histoire tombée dans l’oubli, mais bien réelle.

Meurtrie en Normandie

Fille de com­mer­çants brestois, Jeanne Devidal est née en 1908. Déten­trice d’un cer­ti­fi­cat d’études — ce qui n’est pas rien à cette époque — elle perd son père à l’âge de cinq ans puis un de ses frères lors de la Première Guerre mondiale. En 1927, la Bretonne prête serment et rentre dans les PTT. Elle tra­vaille dans la première centrale télé­pho­nique de France en région pari­sienne en tant que comp­table. Tout bascule le jour où, en 1941, elle est envoyée à Boucé dans l’Orne en tant que rece­veuse des Postes. Elle s’y installe avec sa sœur Léonie. Un choix sur­pre­nant ? « Certains postiers pro­fi­taient de leur fonction pour inter­cep­ter les cour­riers de dénon­cia­tion et pré­ve­naient celles ou ceux qui étaient dénoncés pour qu’ils aient le temps de se cacher. Il est possible que Jeanne Devidal l’ait fait », suppose Yves Lecou­tu­rier, ancien direc­teur du musée de la Poste et des tech­niques de com­mu­ni­ca­tion de Caen. Mais ce séjour s’est soldé

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