« C’était l’attraction, tout le monde allait la voir », « On se faisait peur entre cousins à s’approcher et essayer de regarder à l’intérieur », « Elle était impressionnante ». Il suffit de l’évoquer sur un groupe Facebook pour que les souvenirs reviennent. La maison de Jeanne Devidal, dans la bourgade de Saint‑Lunaire, a marqué une génération d’enfants en quête de sensations fortes. Improbable, extravagante, cette forteresse de bric et de broc, faite de murs en ciment, décorée de chaussettes, de coquillages, de vieux bois et d’objets farfelus, fascinait. Pourquoi une telle construction ? La question a hanté les esprits de la ville pendant une quarantaine d’années.
« Je m’étais rendue là‑bas en voyage scolaire étant enfant. Trente ans après, j’y suis retournée et je me suis souvenue de la maison. Mais, dans ma tête, elle était imprégnée de légendes et je ne savais plus démêler le vrai du faux », se souvient Agathe Oléron, réalisatrice d’un documentaire sur le mystère Jeanne Devidal. Quelle part de rêve, quelle part de réalité ? « La maison n’était plus là, mais chacun avait sa propre histoire, son témoignage à propos d’elle », s’émerveille encore la documentariste, qui a fait appel à la mémoire du voisinage pour enquêter sur cette histoire tombée dans l’oubli, mais bien réelle.
Meurtrie en Normandie
Fille de commerçants brestois, Jeanne Devidal est née en 1908. Détentrice d’un certificat d’études — ce qui n’est pas rien à cette époque — elle perd son père à l’âge de cinq ans puis un de ses frères lors de la Première Guerre mondiale. En 1927, la Bretonne prête serment et rentre dans les PTT. Elle travaille dans la première centrale téléphonique de France en région parisienne en tant que comptable. Tout bascule le jour où, en 1941, elle est envoyée à Boucé dans l’Orne en tant que receveuse des Postes. Elle s’y installe avec sa sœur Léonie. Un choix surprenant ? « Certains postiers profitaient de leur fonction pour intercepter les courriers de dénonciation et prévenaient celles ou ceux qui étaient dénoncés pour qu’ils aient le temps de se cacher. Il est possible que Jeanne Devidal l’ait fait », suppose Yves Lecouturier, ancien directeur du musée de la Poste et des techniques de communication de Caen. Mais ce séjour s’est soldé