Cet article est issu du premier numéro de Pays, consacré à Saint-Malo et ses alentours.

60 ans de relations compliquées entre Saint-Malo et la Timac

La cohabitation des habitants et habitantes avec la filiale du groupe industriel Roullier a toujours posé problème depuis son implantation au cœur de la cité en 1959. L’entreprise est aujourd’hui poursuivie en justice pour troubles du voisinage et infractions environnementales.

Solenne Durox & François Lepage
Le site de l’usine Timac à Saint‑Malo, situé en face de la vieille ville, en surimpression photographique.

Adieu Saint‑Malo, le bleu de la mer et le jaune des lichens qui prolifèrent sur les toits. Retour à Rennes pour Catherine Tirebois. Cette quinquagénaire voulait profiter de l’air iodé en s’installant dans la cité corsaire avec sa fille en 2017. Bien mal lui en a pris. « Nous avions obtenu un logement social, un trois‑pièces près de la criée. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait Timac Agro juste en face », se souvient la Bretonne qui travaille pour l’Éducation nationale. En février dernier, elle a pris ses cliques et ses claques. « Je ne supportais plus de voir tous les jours les fumées qui sortaient des cheminées de l’usine. Cela me sortait par les yeux ». Comme beaucoup d’autres Malouins et Malouines, Catherine affirme souffrir des nuisances provoquées par l’entreprise industrielle et commerciale spécialisée dans la nutrition végétale et animale. En premier lieu, il y a cette poussière qui se dépose et s’immisce un peu partout. À l’extérieur, comme à l’intérieur. Sur les carreaux, les étagères, la table de nuit… Mais il y a surtout ces odeurs insupportables que chacun décrit à sa façon. « Ça sent les œufs pourris ou les céréales fermentées. Dès le premier été, c’était invivable, se souvient Catherine. Et pendant le confinement, comme il faisait très beau, on avait envie d’ouvrir les fenêtres, mais les odeurs étaient trop infectes. J’avais envie de vomir. Tout le monde sait que ça vient de Timac Agro, mais on ne peut rien dire, car c’est l’un des principaux employeurs de la ville », se désole‑t‑elle. Pascale Nowicki, elle, est arrivée à Saint‑Malo en 2010 pour se rapprocher de son conjoint. Elle habite intra‑muros. « Selon les vents, on est exposés aux odeurs et aux rejets dans l’atmosphère. C’est comme si on arrosait les toits avec des engrais. J’ai les yeux qui larmoient, la gorge irritée. Plusieurs dizaines de fois dans l’année ».

Hors‑la‑loi

Les habitants et les habitantes ont découvert il y a quelques mois que les deux sites industriels de Timac Agro de Saint‑Malo (sur le quai intérieur et dans la zone industrielle) rejettent de l’ammoniac dans l’atmosphère. Et surtout, que ces Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) ne respectent pas leurs obligations légales. Des contrôles menés par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) ont révélé des concentrations parfois supérieures de six à quatorze fois à la réglementation en 2018 et 2019. Et dire que six ans auparavant, le fondateur Daniel Roullier affirmait sérieusement à Ouest‑France que la fumée qui sortait de l’usine n’était que « de la vapeur d’eau ». Suite à ces dysfonctionnements, le fabricant d’engrais et fertilisants a été mis en demeure à plusieurs reprises par la préfecture, et s’est vu infliger des amendes administratives. Il a aussi dû stopper les productions à base de sulfate d’ammonium sur le site portuaire et engager des travaux importants et coûteux afin de se mettre en conformité. L’ammoniac est un gaz toxique. Inhalé, il irrite les yeux et les muqueuses des voies respiratoires. Dans le cas d’une exposition chronique, il entraîne des « symptômes respiratoires (toux, rhinites, etc.), des effets irritatifs et des effets sur la fonction pulmonaire », selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). C’est aussi un précurseur très important de particules fines classées cancérogènes certaines. La concentration à Saint‑Malo est d’ailleurs 30 % supérieure à celle de Rennes, selon un rapport publié en avril 2020 de l’association Airbreizh, vigie de la qualité de l’air en Bretagne. 

Les associations passent à l’offensive

L’été dernier, douze Malouins et Malouines appuyés par l’association locale Osons ! et l’avocate parisienne Virginie Leroy ont décidé d’assigner en justice Timac Agro pour troubles anormaux du voisinage. Le tribunal de la ville a ordonné une expertise indépendante sur les nuisances olfactives et les rejets d’ammoniac. Un début de victoire pour les plaignants et plaignantes à qui il revenait néanmoins d’avancer les frais d’expertise, soit 30 000 euros. Une somme qu’ils ont réussi à récolter grâce à une cagnotte en ligne. « Cela ne devrait pas être aux citoyens de payer pour savoir comment réparer cette usine, mais à Timac Agro qui ne maîtrise pas ses process », peste Alain Guillard, le président de l’association Osons !. Cet ancien responsable des services techniques

[…]
Pour poursuivre votre lecture et soutenir notre projet, nous vous invitons à commander la revue papier.

Pays est une revue indépendante, sans publicité, éditée par ses quatre cofondateurs et cofondatrices. Pays, la revue qui nous entoure, s’intéresse à un nouveau territoire pour faire mieux que découvrir : comprendre.

Livraison gratuite en France.