Cet article est issu du premier numéro de Pays, consacré à Saint-Malo et ses alentours.

Cézembre, une île reven­di­quée par une autre nation

Elle est là, visible de tous et toutes au large de Saint‑Malo. Tout le monde croit la connaître et pourtant, l’île de Cézembre, chargée d’histoire, recèle une drôle d’intrigue qui la relie à la ville amé­ri­caine de Milwaukee.

Mathilde Doiezie
Détail de la « carte par­ti­cu­lière des entrées du port de Saint‑Malo et de la rivière de Dinan », éditée par le che­va­lier de Sainte Colombe en 1680 et conser­vée à la BnF.

Sa plage jaune scin­tillante qui prend long­temps le soleil — la seule plage d’Ille‑et‑Vilaine orientée au sud — nargue celles et ceux qui lui font face, du côté du conti­nent. Pas étonnant que l’île de Cézembre fasse partie des pro­vinces du royaume de Talossa. Du… quoi ? À Saint‑Malo, tout le monde semble ignorer ce nom. Le mou­ve­ment de sourcil et les yeux écar­quillés par‑dessus le masque marquent clai­re­ment l’étonnement à l’office de tourisme, où l’on dégaine pourtant la brochure d’un bateau‑taxi faisant des trajets jusqu’à Cézembre. 

Cézembre, c’est cette île à l’avant‑poste de Saint‑Malo sur la Manche. Pas très éloignée, mais suf­fi­sam­ment pour y attirer plu­sieurs aspi­rants à la vie d’ermite.

À la moitié du XVe siècle, un monas­tère s’y établit. À cette époque, Cézembre n’est pas encore tout à fait une île, des prairies la reliant au conti­nent à marée basse, avant d’être englou­ties par la mer. Plu­sieurs petites cha­pelles y poussent. François Ier ou Charles IX viennent s’y recueillir. Mais Cézembre tombe dans le viseur des Anglais qui lorgnent Saint‑Malo. À la fin du XVIIe siècle, ils détruisent le monas­tère. Ni une, ni deux, le célèbre archi­tecte Vauban est convoqué pour y enra­ci­ner des for­ti­fi­ca­tions. Des hommes et des canons y sont déployés. « À partir de là, Cézembre devient le chien de garde de la baie de Saint‑Malo », explique Éric Peyle, his­to­rien et res­pon­sable du Mémorial 39 — 45 de la ville. 

Son empla­ce­ment stra­té­gique lui octroie un destin par­ti­cu­lier. L’armée en fait l’un de ses terrains de jeu. Dépossédé·es, Malouins, Malouines et visi­teurs sont tou­te­fois autorisé·es à s’y rendre pendant l’entre‑deux‑guerres. C’est le début d’un tourisme de plai­san­ciers. La bamboche est de courte durée. Les Alle­mands s’emparent de l’île et s’y accrochent. Alors que la bataille pour libérer Saint‑Malo dure du 5 au 17 août 1944, Cézembre n’est reprise que le 2 sep­tembre. L’île devient l’endroit le plus bombardé d’Europe et pro­ba­ble­ment l’un des plus bom­bar­dés au monde durant la Seconde Guerre mondiale, affirme Éric Peyle. Une grosse opé­ra­tion de déminage a lieu, mais la majeure partie de Cézembre reste inter­dite au public. La Marine natio­nale, désor­mais pro­prié­taire des lieux, autorise l’installation d’un res­tau­rant, ouvert pendant la saison haute. L’île rede­vient alors l’objet de convoi­tises uni­que­ment tou­ris­tiques pour celles et ceux qui « font des ronds dans l’eau dans la baie de Saint‑Malo », s’amuse Éric Peyle.

Reven­di­quée par un roi qui siège aux États‑Unis

Seule­ment, Cézembre est une incon­grui­té géo­po­li­tique à l’histoire encore plus mou­ve­men­tée que celle qui lui est déjà connue : l’île est en effet reven­di­quée par une micro­na­tion, fondée par un ado­les­cent amé­ri­cain de l’État de Milwaukee.

Le 26 décembre 1979, Robert Ben Madison, 14 ans, annonce la séces­sion de sa chambre du reste des États‑Unis et s’autoproclame sou­ve­rain du royaume de Talossa. Un terme qui signifie « dans la maison » en fin­lan­dais. L’éloge d’un pouvoir confiné, déjà. Il crée une langue spé­ci­fique à son royaume avec

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