Cet article est issu du premier numéro de Pays, consacré à Saint-Malo et ses alentours.

Des ombres au tableau

Saint‑Malo a été le cin­quième port négrier français, et a préféré l’oublier. Dans une ville où l’on met en avant un passé glorifié de cor­saires, ce pan moins relui­sant s’est immiscé dans la dernière campagne muni­ci­pale. Ce n’est pourtant pas la première ten­ta­tive pour la coa­li­tion locale de gauche d’amorcer un débat, mais le silence perdure.

Marion Bothorel & Caroline Ruffault
Carte de l’Afrique de l’Ouest, où se ren­daient les arma­teurs pour la traite.

Quand on entre­prend une balade dans Saint‑Malo, on se rend, imman­qua­ble­ment, sur le port. Che­mi­nant le long des quais, nos pas nous mènent, presque auto­ma­ti­que­ment, près de la gare maritime. Et soudain, sur le chemin, une statue nous défie fiè­re­ment. À Saint‑Malo, Bertrand‑François Mahé de la Bour­don­nais trône sur le rond‑point des Antilles. C’est la même figure, presque la même statue, qui, à 10 000 kilo­mètres de là, mobilise des mili­tants et mili­tantes anti­ra­cistes réunionnais·es depuis juin 2020. Ils vou­draient qu’il dis­pa­raisse, Mahé de la Bour­don­nais. Réputé bâtis­seur, ce Malouin, officier de la marine, a fondé les pre­mières plan­ta­tions de coton et de canne à sucre, sur les îles de France et de Bourbon — anciens noms des îles Maurice et de La Réunion. Il avait mis éga­le­ment sur pied des brigades dédiées à la répres­sion du « mar­ro­nage », la fuite d’esclaves. 

Mahé de la Bour­don­nais n’est pas seul. Non loin de là, le grand armateur Robert Surcouf domine les remparts de la vieille ville, honoré pour sa ténacité au combat maritime. Sans mention, tou­te­fois, de la douzaine d’armements de navires négriers à son actif… Rue Amiral Magon, cour la Houssaye… à Saint‑Malo, si l’on prête atten­tion aux noms des rues, des traces dis­crètes font réfé­rence à son passé de cin­quième port colonial français. Au total, ce sont 230 bateaux par­ti­ci­pant à la traite des noir·es qui ont quitté le port entre 1675 et 1790, trans­por­tant 80 000 esclaves. À l’issue de ce périple infernal, certains et cer­taines ont même été ramenés par de riches arma­teurs malouins chez eux, selon les mémoires de la com­pa­gnie des Indes. 

Pendant près d’un siècle, une ving­taine de navi­ga­teurs et leurs familles se sont enrichis grâce à la traite des noir·es. Prenez la célé­bri­té locale : Cha­teau­briand. Pas François‑René, l’auteur des Mémoires d’outre‑tombe, mais son père. L’écrivain a passé son enfance non loin de Saint‑Malo, dans l’enceinte du château de Combourg. Une bâtisse acquise grâce à la fortune de son père, René‑Auguste, célèbre armateur aux mul­tiples acti­vi­tés, dont le commerce tri­an­gu­laire. Mais rien ne vous le dira, place Chateaubriand. 

Inertie poli­tique

Des traces, il en subsiste donc dans la cité

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