Des racines et des rêves

Le projet du botaniste Francis Hallé d’implanter une forêt primaire dans les Ardennes provoque des remous chez les habitant·es de la vallée de la Meuse. Folie et absurdité pour les un·es, vital et enthousiasmant pour les autres… le débat n’en est qu’à ses débuts, et interroge en parallèle les perspectives de développement du territoire.

Carl Hocquart & David Truillard
Conscient·es de la nécessité d’aller plus loin pour la décarbonation de la planète, Noame et Éric, de l’association Francis Hallé, ont l’ambition de recréer une forêt primaire, mais se rendent compte que l’idée va mettre du temps à convaincre les Ardennais·es. © David Truillard
Conscient·es de la nécessité d’aller plus loin pour la décarbonation de la planète, Noame et Éric, de l’association Francis Hallé, ont l’ambition de recréer une forêt primaire, mais se rendent compte que l’idée va mettre du temps à convaincre les Ardennais·es. © David Truillard

« Jamais il n’y a eu autant d’arbres et si peu de — véritables — forêts », constatent les scientifiques du monde entier tandis que le rôle majeur des forêts dans l’équilibre écologique et climatique de la planète n’est plus à démontrer. Parmi elles et eux, Francis Hallé, botaniste français de 85 ans, de renommée internationale, connu pour ses travaux sur la canopée des forêts équatoriales. Le biologiste promeut l’idée, avec l’association qui porte son nom, de laisser croître et vieillir les arbres, s’épanouir la faune et la flore, sans présence ni exploitation humaine, sur une zone transfrontalière de 70 000 hectares en Europe de l’Ouest. L’objectif ? Accroître et étoffer la biodiversité, capter du carbone et établir un lieu d’observation et d’études pour les chercheurs et chercheuses. Durée de vie ? Pas moins de 700 ans.

Il a pour cela ciblé deux territoires qui fournissent à ses yeux les caractéristiques les plus favorables : les Vosges… et les Ardennes. Un choix motivé par la présence d’un vaste massif au nord du département, à cheval avec la Belgique, ainsi que d’un cours d’eau, la Meuse, qui offre la garantie d’une biodiversité enrichie. D’autant que la zone compte 40 % de forêt publique, chiffre supérieur à la moyenne nationale, ce qui devrait faciliter les négociations à venir.

Hors-sol ?

Sur le plateau des Manises, surplombant Revin, au cœur de la vallée de la Meuse, l’idée d’une forêt primaire fait bondir Bertrand Grandhomme, qui arpente les bois enserrant son hôtel-restaurant, dit la Ferme-Auberge du Malgré-Tout. L’homme est né là il y a 40 ans et a toujours résidé au cœur de ce vaste massif forestier. L’habitation la plus proche est à un kilomètre. « Ici, il y a des cervidés, des sangliers, des renards, des grives, des merles et même des coucous », énumère le commerçant, également chasseur et conseiller régional (LR). Alors, pour lui, inconcevable de s’imaginer un jour privé de cet écrin à cause « d’une forêt qu’on aura mise sous cloche » et proposé en plus « par des gens qui ne savent pas comment nous vivons ».

À l’intérieur du restaurant, le décor, rustique et chaleureux, agrémenté de cornes de cerf et de vieux outils agricoles en bois, rappelle la vocation ancienne des lieux. Guy Tutiaux compte parmi la clientèle. Ce chasseur et patron d’une fonderie à Deville abonde dans le même sens : « C’est déconnecté de la réalité… On ne va pas mettre un filtre sur le territoire pour oxygéner la planète ! Il y a déjà tellement de choses à développer ici : l’industrie, le tourisme, la filière bois… »

Face à un projet en germe et aux contours encore indéterminés, l’idée d’une forêt primaire bouscule, voire heurte nombre d’Ardennais·es. Les habitant·es alternent entre scepticisme affiché et franche défiance alors qu’ils et elles sont déjà durement touché·es depuis plusieurs décennies par la désindustrialisation, les fermetures d’usines, un chômage supérieur à la moyenne nationale et

[…]
Pour poursuivre votre lecture et soutenir notre projet, nous vous invitons à commander la revue papier.

Pays est une revue indépendante, sans publicité, éditée par ses quatre cofondateurs et cofondatrices. Pays, la revue qui nous entoure, s’intéresse à un nouveau territoire pour faire mieux que découvrir : comprendre.

Livraison gratuite en France.