Entretien avec Aurélien Dyjak — Tueurs en série : « Le symbole de la défaillance des institutions »

Celles et ceux qui ne connaissent pas les Ardennes le citent d’emblée quand les habitant·es du département lui vouent une haine tenace. Michel Fourniret, tueur en série natif de Sedan et dont le nom a défrayé la chronique depuis son arrestation en 2003, est rattaché à l’image du département. Pourquoi une telle fascination pour l’auteur de viols et de meurtres qui a sévi, notamment, dans la forêt ardennaise ? Aurélien Dyjak, docteur en sociologie à l’université d’Aix-Marseille1, répond aux interrogations de Pays.

Manon Boquen & Christelle Perrin
© Christelle Perrin
© Christelle Perrin
Comment peut-on définir un tueur en série [Les personnes qui répondent à la catégorie de serial killer ayant jusqu’à présent été en très grande majorité des hommes ; nous avons choisi de genrer ce terme uniquement au masculin au long de l’interview.] ?

Aurélien Dyjak  [Cofondateur de de l’Institut de criminologie méditerranéen depuis 2005 et auteur de Tueurs en série, L’invention d’une catégorie criminelle (Presses Universitaires de Rennes, 2016).] : L’expression tueur en série est la traduction française de l’expression américaine serial killer désignant un type spécifique de criminels. C’est d’ailleurs une mauvaise traduction puisqu’il aurait été plus juste de dire « tueur de série » que « tueur en série » en français. Aux États-Unis, serial killer correspond d’abord à un terme technique policier et non à une catégorie médicale, psychologique ou criminologique. Sa définition répond à des critères policiers. La première définition proposée par le FBI décrivait ainsi le serial killer comme quelqu’un ayant commis au moins trois homicides lors de trois événements, dans trois lieux différents. Cette définition a toutefois vite trouvé ses limites puisqu’elle ne permettait pas de saisir la spécificité du type de criminalité à laquelle elle renvoyait. On a ajouté depuis la condition d’un motif psychologique particulier : on parle de passage à l’acte à motivation aberrante, qui ne correspond pas à des motifs classiques. Auparavant, on désignait ce type de criminels avec l’expression stranger-to-stranger crime, un meurtrier étranger à sa victime.

À quelle époque la notion de tueur en série a-t-elle vu le jour ?

Aurélien Dyjak : À la fin des années 1970 aux États-Unis, avec une forte médiatisation à partir du début des années 1980. La catégorie de serial killer apparaît dans une atmosphère particulière d’inquiétude vis-à-vis de l’augmentation importante du taux d’homicide : de 4,8 homicides pour 100 000 habitants en 1955 à un pic à 10,2 en 1980. Ce taux redescendra pour atteindre au début des années 2000 un taux analogue à celui de la fin des années 1960. Cette progression est évidemment complexe à éclaircir, parce qu’elle englobe de nombreux phénomènes comme les règlements de compte liés au trafic de drogue ou le développement et à la diffusion des armes à feu. Toutefois, cette croissance des homicides présentait la particularité de résulter de l’augmentation des homicides sans mobile apparent,
qui semblaient constituer en eux-mêmes un phénomène également sensiblement nouveau. Le FBI a eu tendance à expliquer cette croissance par l’émergence d’un nouveau type de criminel, dit serial killer.

Était-ce un moyen de se dédouaner ?

Aurélien Dyjak : L’hypothèse du meurtre en meurtre en série présente d’abord l’avantage de ne pas remettre en cause l’attitude des citoyens à l’égard de la criminalité. Elle permet ensuite de dépasser les

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