Il faut s’imaginer être soixante mètres sous terre, sans un bruit à part celui, régulier, de l’eau qui s’infiltre à travers les couches de schiste pour rejoindre les profondeurs de la nappe phréatique. Il faut s’imaginer que, sans lumière, on ne distingue plus aucune forme à trente centimètres de soi. Il faut s’imaginer, dans ce dédale sans fin de galeries et de cavités façonnées par 800 ans d’exploitation, plusieurs centaines d’ouvriers qui descendent extraire la fameuse ardoise tous les jours. Il faut enfin, pour tenter de se représenter un tableau assez équivoque de l’expérience d’une mine d’ardoise, s’imaginer ce fourmillement de travailleurs, découpant et transportant des pièces de 80 kilos du petit matin jusqu’à l’heure du déjeuner.
Le tout dans une atmosphère chaotique, parsemée d’explosions et de tous les bruits liés à la découpe d’une roche très résistante et où les accidents et les décès n’étaient pas rares. Dehors, les femmes et les enfants devaient sans cesse
pomper les eaux d’infiltration, évacuées grâce à un subtil réseau de canalisation menant en contrebas du village, afin que la compagnie ardoisière puisse envoyer toujours plus d’hommes, toujours plus loin sous terre. Maline, ou un brin cynique, cette même compagnie possédait également les bars et cafés de la commune où ces ouvriers des profondeurs venaient oublier pour un temps la dureté et l’âpreté de leur tâche. Jusqu’en 1971, à Rimogne, à Fumay ou encore à Haybes, au nord du département, les mines d’ardoise étaient l’épicentre de la vie locale, la raison du dynamisme de la région, l’une des fiertés des Ardennes. Jusqu’à ce que tout s’arrête brusquement.
Des siècles d’existence
L’histoire de l’ardoise dans les Ardennes est avant tout géologique. Proche des méandres de la Meuse pour Fumay et Haybes, ou située sur un plateau qui favorise également les affleurements à Rimogne, le schiste dont est extraite la roche se compose de couches de sédiments et de vase empilées les unes sur les autres et propulsées sous la terre par le jeu de la tectonique des plaques. C’est à partir du XIIe siècle que les cavités souterraines ont commencé à être creusées. À cette époque du Moyen-Âge, où les abbayes voyaient le jour partout sur le territoire, les moines découvraient que l’on pouvait extraire l’ardoise