Sous un soleil de plomb et une température anormalement élevée pour un mois de septembre, Emmanuel Wilhelm, directeur du service forêts de l’agence de l’Office national des forêts (ONF) des Ardennes, nous guide sur les pistes de la Croix-Scaille. Cette forêt domaniale de 1900 hectares se situe au point culminant du plateau des Ardennes, à 500 m d’altitude, sur le territoire du Parc Naturel Régional des Ardennes. Sur un terrain légèrement en pente, une débardeuse — machine qui soulève du bois avec un grappin — tire derrière elle d’imposantes grumes démembrées — des troncs d’arbres pas encore passés à l’équarrissage. Elle les empile à proximité de la route, où elles seront chargées sur une remorque. Elles partiront alors en Belgique, dans les scieries du groupe Fruytier. Mais tout autour, le paysage est dévasté : sur plusieurs centaines de mètres carrés, plus un arbre ne tient debout. Des branchages secs s’entassent comme les os d’un squelette, tout le long des cloisonnements que les énormes engins forestiers sont astreints à emprunter pour parcourir la parcelle.
Sur cette parcelle 84, comme sur de nombreuses autres, des épicéas avaient été plantés en monoculture, soit à la sortie de la crise économique de 1928, soit après la Seconde Guerre mondiale. « Ce n’était pas une essence locale, mais elle était adaptée au climat, note Emmanuel Wilhem, de la Direction Régionale de l’Agriculture et de la forêt (DRAF). Et surtout, on ne savait planter que cela à l’époque. » Aujourd’hui, on ne ferait plus ainsi. Toujours est-il que ces forêts sombres, un brin mystérieuses, aux troncs hauts et rectilignes où paraît-il, poussent les cèpes si prisés, font partie du paysage. Du moins, en faisaient partie.
Conséquence directe et indirecte de la multiplication des épisodes de sécheresse depuis 2017, les épicéas tombent comme des mouches. Le stress hydrique les affaiblit. Parallèlement, le réchauffement global des températures a favorisé le développement épidémique d’un insecte présent depuis toujours : le scolyte (ou ips) typographe. Ce petit coléoptère d’à peine cinq millimètres « perce l’écorce puis creuse des galeries où la femelle pond ses larves. Il entame les tissus permettant à la sève de redescendre vers les racines, ce qui finit par tuer l’arbre, détaille Manuel Nicolas, responsable du réseau national de suivi à long terme des