Quand la nuit tombe, par les chaudes soirées d’été, Agathe et ses ami·es ont un drôle de QG. Ils et elles se retrouvent sur le parking de l’Intermarché. « J’ai passé plein de soirées assise sur un caddie, rigole la lycéenne de 14 ans. Y’a pas trop le choix, à Revin tout s’éteint à 23 heures ». La commune de 6 000 habitant·es, au nord de Charleville-Mézières, compte bien un ou deux cafés, mais ils ferment tôt et la bande préfère profiter de ses vacances dehors.
Ce jeudi après-midi, Agathe est blottie contre Hamza, sur un banc au milieu d’une place vide, face à la colline couverte de forêt et d’une brume étonnante pour un mois d’août. De fines gouttes se déposent sur ses longs cheveux et dans les boucles de Hamza. Il sourit : « Quand il pleut trop, on s’abrite sous le Crédit Agricole. La vue est moins belle, mais y’a rien
d’autre ». Les deux lycéen·nes ont passé leurs journées d’août ensemble, à discuter pendant des heures. À Revin, où il habite, dans le quartier d’Orzy, ou chez elle, dans la commune voisine de Bogny-sur-Meuse, au rythme des TER. Le soir, chacun·e retrouve sa bande avant de rentrer, en trottinette électrique pour elle, à pied pour lui, éclairé par la lampe torche du smartphone. À la rentrée, cette routine prend fin.
Pour les jeunes Ardennais·es, l’été est une parenthèse de liberté : vivre la nuit, voir ses ami·es. Mais dans ce territoire très rural, il faut pas mal d’imagination et de débrouillardise pour profiter des beaux jours à peu de frais et tromper l’ennui.
Rendez-vous au bal
« Zouk machine », « fête foraine », « course de caisses à savon », « bal avec DJ ». Au bord des routes départementales reliant les villages et sur les ronds-points, des panneaux fluo zébrés de lettres noires évoquent les activités estivales de la jeunesse locale. Maelane, 18 ans, et sa cousine Eva, 14 ans, sont allées presque tous les weekends à un bal avec DJ et
buvette. Les jeunes du coin sont prêt·es à parcourir des kilomètres dès l’adolescence pour faire la fête. Enola, 18 ans, a été privée de bal toutes ses vacances. Elle soupire : « J’étais en service civique à la CAF, pour me payer le permis ». Pour le moment, les trois amies doivent composer avec les rares transports en commun, la marche et les parents, qui les déposent au bal et viennent les chercher au petit matin, par peur qu’elles ne rentrent avec des conducteurs ou conductrices éméché·es. Ce samedi après-midi, elles ont loupé leur bus, alors elles s’abritent dans l’ombre de l’église de Signy-le-Petit, village de l’est du département, en attendant que le soleil cogne moins. Ce soir, elles iront à l’étang de la Motte, à une demi-heure à pied. C’est le seul lieu du coin où la canicule est supportable.
À deux pas de la place de l’église, devant le local jeunes de ce village de 1200 habitant·es, Marie, Marine, Romain et Rafael font pétarader leurs deux-roues. La première, 16 ans, en short, t-shirt et baskets, chaîne de baptême autour du cou et longue queue de cheval châtain sous son casque, savoure la liberté d’aller où elle veut sur sa première moto… même si elle est presque à sec et que le carburant frise les deux euros le litre en ce moment. Dans quelques jours, elle démarre un CAP maçonnerie. À ses côtés, Romain, 16 ans, a passé l’été dans la ferme où il est apprenti depuis un an. Les éreintants travaux aux champs et à l’étable ne l’ont pas empêché de rejoindre tous les soirs ses copains et copines et d’écumer les bals. Il a aussi bricolé un bolide jaune pétard avec son ami Sullivan, pour participer à une course de caisses à savon, une autre spécialité estivale du coin dans laquelle s’affrontent des personnes dans des véhicules sans moteur construits par leurs soins « L’hiver, il se passe rien ici », lâche Romain, en se