Cet article est issu du premier numéro de Pays, consacré à Saint-Malo et ses alentours.

Le matriar­cat breton, une idée reçue encombrante

L’idée est répandue en Bretagne et vient parfois même pimenter les conver­sa­tions : celle d’un matriar­cat, existant et prégnant, qui don­ne­rait aux femmes une place de choix dans la société, et ce, depuis de longues années. On l’entend en par­ti­cu­lier sur le littoral, comme sur la côte d’Émeraude, où l’on raconte que les femmes avaient le pouvoir puisqu’elles tenaient seules la maison lorsque leurs maris voguaient en mer. Mais, ce système existe‑t‑il vraiment ? La socio­logue Anne Guillou, ancien­ne­ment pro­fes­seure à l’université de Brest et aujourd’hui retrai­tée, décrypte ce préjugé bien ancré.

Manon Boquen
Le départ des terre‑neuvas à Saint‑Malo en 1927. Une femme donne des pro­vi­sions à son mari. — Agence Rol, 1927

Pourquoi vous êtes‑vous inté­res­sée à ce sujet ?

J’étais un petit peu exas­pé­rée d’entendre toutes ces affir­ma­tions sur un prétendu matriar­cat en Bretagne. 

Qu’appelle‑t‑on au juste matriar­cat et que signifie ce mot ?

Naï­ve­ment, on pourrait dire : c’est le contraire du patriar­cat, sachant que le patriar­cat est un système poli­tique, éco­no­mique, social dans lequel les hommes sont déten­teurs des pouvoirs. Le père, l’homme est maître de son épouse. Il semble que la puis­sance des hommes et le pouvoir des hommes sur les femmes datent vraiment de l’invention de l’agriculture, au paléo­li­thique, et de l’invention en même temps du mariage. Les eth­no­logues ont beaucoup tra­vaillé pour chercher des sociétés matriar­cales et n’en ont pas for­cé­ment trouvé ; sinon des situa­tions par­ti­cu­lières où les hommes sont absents. Aujourd’hui, le patriar­cat règne sur le monde.

Donc, le matriar­cat, s’il existait, serait un système social, juri­dique, poli­tique qui accor­de­rait aux femmes l’essentiel des pouvoirs qu’elles pour­raient donc exercer sur le reste de la popu­la­tion. Si l’on s’en tient à cette défi­ni­tion, on ne peut pas trouver de matriar­cat, même en Bretagne.

Pourquoi alors l’expression « matriar­cat breton » existe‑t‑elle ? 

C’est devenu un sté­réo­type, une idée toute faite que l’on se transmet sans étudier la validité et ce sur quoi elle repose. Dès qu’une femme est élue députée ou conseillère régio­nale, on dit : « Ah ! C’est le matriar­cat en Bretagne, les femmes sont puis­santes. » Mais non, c’est un signe de pro­mo­tion per­son­nelle, c’est le miracle de l’enseignement, de la for­ma­tion des femmes et de leur socia­li­sa­tion, mais pas du tout le fait d’un matriarcat. 

D’où vient cette idée ?

Il est le fait des écri­vains bretons, de la fin du XIXe et du début du XXe comme Pierre‑Jakez Hélias ou Yann Bre­ki­lien. Ces auteurs bretons sem­blaient humiliés, peinés, choqués par le portrait que fai­saient les auteurs étran­gers, les voya­geurs, de la Bretagne, une Bretagne exotique au XIXe. Ces voya­geurs voyaient la modestie des condi­tions, la pauvreté des inté­rieurs, les tra­di­tions que certains ont notées. Ils aper­ce­vaient la grande tablée où le chef de famille est au bout puis ses fils, puis ses domes­tiques et la femme servant tout ça. La femme ne restait pas for­cé­ment debout, mais, dans les cam­pagnes, c’est vrai, elle servait les hommes et mangeait après. Cette hié­rar­chie que les voya­geurs croyaient deviner — une hié­rar­chie très pro­non­cée entre les hommes et les femmes — les a marqués et ils ont écrit sur le sujet. Les auteurs bretons ont voulu contes­ter cette des­crip­tion en disant que ces gens ne com­pre­naient rien à rien, que chez eux c’est la femme qui tenait la maison. Que, derrière un dénue­ment apparent, sous une sou­mis­sion per­cep­tible, se cachaient une réelle autorité et un pouvoir. 

Comment cette idée, créée de toutes pièces, s’est‑elle répandue ?

Elle a plu dans le milieu poli­tique, dans le milieu jour­na­lis­tique, chez les hommes en général qui ne vou­laient pas for­cé­ment exalter le pouvoir des femmes, mais réha­bi­li­ter les femmes et en par­ti­cu­lier leurs mères. Un homme peut se rendre compte, s’il a réussi, socia­le­ment, éco­no­mi­que­ment, que sa

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