Pourquoi vous êtes‑vous intéressée à ce sujet ?
J’étais un petit peu exaspérée d’entendre toutes ces affirmations sur un prétendu matriarcat en Bretagne.
Qu’appelle‑t‑on au juste matriarcat et que signifie ce mot ?
Naïvement, on pourrait dire : c’est le contraire du patriarcat, sachant que le patriarcat est un système politique, économique, social dans lequel les hommes sont détenteurs des pouvoirs. Le père, l’homme est maître de son épouse. Il semble que la puissance des hommes et le pouvoir des hommes sur les femmes datent vraiment de l’invention de l’agriculture, au paléolithique, et de l’invention en même temps du mariage. Les ethnologues ont beaucoup travaillé pour chercher des sociétés matriarcales et n’en ont pas forcément trouvé ; sinon des situations particulières où les hommes sont absents. Aujourd’hui, le patriarcat règne sur le monde.
Donc, le matriarcat, s’il existait, serait un système social, juridique, politique qui accorderait aux femmes l’essentiel des pouvoirs qu’elles pourraient donc exercer sur le reste de la population. Si l’on s’en tient à cette définition, on ne peut pas trouver de matriarcat, même en Bretagne.
Pourquoi alors l’expression « matriarcat breton » existe‑t‑elle ?
C’est devenu un stéréotype, une idée toute faite que l’on se transmet sans étudier la validité et ce sur quoi elle repose. Dès qu’une femme est élue députée ou conseillère régionale, on dit : « Ah ! C’est le matriarcat en Bretagne, les femmes sont puissantes. » Mais non, c’est un signe de promotion personnelle, c’est le miracle de l’enseignement, de la formation des femmes et de leur socialisation, mais pas du tout le fait d’un matriarcat.
D’où vient cette idée ?
Il est le fait des écrivains bretons, de la fin du XIXe et du début du XXe comme Pierre‑Jakez Hélias ou Yann Brekilien. Ces auteurs bretons semblaient humiliés, peinés, choqués par le portrait que faisaient les auteurs étrangers, les voyageurs, de la Bretagne, une Bretagne exotique au XIXe. Ces voyageurs voyaient la modestie des conditions, la pauvreté des intérieurs, les traditions que certains ont notées. Ils apercevaient la grande tablée où le chef de famille est au bout puis ses fils, puis ses domestiques et la femme servant tout ça. La femme ne restait pas forcément debout, mais, dans les campagnes, c’est vrai, elle servait les hommes et mangeait après. Cette hiérarchie que les voyageurs croyaient deviner — une hiérarchie très prononcée entre les hommes et les femmes — les a marqués et ils ont écrit sur le sujet. Les auteurs bretons ont voulu contester cette description en disant que ces gens ne comprenaient rien à rien, que chez eux c’est la femme qui tenait la maison. Que, derrière un dénuement apparent, sous une soumission perceptible, se cachaient une réelle autorité et un pouvoir.
Comment cette idée, créée de toutes pièces, s’est‑elle répandue ?
Elle a plu dans le milieu politique, dans le milieu journalistique, chez les hommes en général qui ne voulaient pas forcément exalter le pouvoir des femmes, mais réhabiliter les femmes et en particulier leurs mères. Un homme peut se rendre compte, s’il a réussi, socialement, économiquement, que sa