La Péniche danse sur les flots de la Meuse dans un Charleville bondé par la tenue du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes. Dans l’antre de l’embarcation de bois vibrent des airs irlandais qu’un groupe de musicien·nes interprète autour d’une table. Au mur, des tableaux représentent des personnages légendaires ardennais et, assis au fond de la pièce parfumée par la bière, un visiteur au chignon de cheveux argentés se détache. « Ça, c’est le verbouc, mi-homme,
mi-bouc, qui est diabolique, mais joue aussi parfois des tours au diable », explique Philippe Boudard en pointant du doigt l’un des portraits accrochés à la coque du bateau.
Terre de légendes
Les lieux, ce spectateur à l’allure incomparable — sourcils en circonflexe et tenue traditionnelle de charpentier laissant ses jambes découvertes — les connaît par cœur : il en est le créateur. L’Ardennais à la voix rauque a depuis passé la barre, mais c’est ici qu’est née son envie de remettre la culture de son « pays » au goût du jour. « Quand je suis revenu de mes études à Paris, on m’a dit qu’il y avait bien des pubs irlandais, des bars de toute sorte à Charleville, mais rien d’ardennais », rembobine-t-il. Sur le fleuve dans lequel nagerait le Mawhot [Voir la bande dessinée du cahier culturel de PAYS n°5, page 84], un monstre sous- marin mythique, la Péniche a donc éclos en 1997, avec, comme inspirations, les légendes locales.
Des quatre fils Aymon qui ont bravé Charlemagne et possèdent une sculpture de pierre à leur effigie à Bogny-sur-Meuse, aux Dames de Meuse qui ont trompé leurs maris partis en guerre et ont été transformées en rochers près de Laifour, mythes et histoires fantastiques ont laissé des empreintes dans la vallée. Des créatures étranges la peupleraient, tel ce Karnabo issu d’une goule [Vampire femelle qui, selon les superstitions orientales, dévore les cadavres dans les cimetières.] et d’un sorcier qui se terre dans une ardoisière, ou ces nutons, sortes de lutins ouvriers habitant des cavernes. « Ces légendes ont un point commun : elles sont anarchistes et défient le pouvoir », selon l’amoureux de l’Ardenne, qui a cofondé Ward, la fédération Wallonie Ardenne, où se retrouvent les passionné·es de ces contes et mythes, et plus globalement de la culture ardennaise. Philippe Boudard en est persuadé : « Il y a une carence pour faire vivre cette culture. Nous organisons des rencontres pour changer ça, en mélangeant tradition et modernité. »
Porte d’entrée pour l’ici
Les mélodies irlandaises de ce soir-là attirent des âmes qui partagent cette envie. Dans l’auditoire, Marie-José Nolin écoute avec plaisir ces airs qu’elle affectionne en racontant son implication dans le groupe de danse traditionnelle ardennaise, les Ramounis de Bosséval. « On est en costume d’époque et on fait aussi bien des polkas que des maclotes, qui se dansaient dans la région », décrit-elle.
À la tête de l’ensemble musical qui anime la soirée se plaît par ailleurs un aficionado de légendes et de cultures locales