Quand on parvient à Margut par la route depuis la Meuse, on peut lire à quelques kilomètres de l’entrée du village sur des panneaux cabossés, abîmés par le temps, un slogan daté qui annonce l’arrivée dans un département « avec vue sur l’avenir ». On ne sait plus trop quelles étaient ces promesses à l’époque, mais on devine qu’elles ont certainement mal vieilli, elles aussi.
Si on s’aventure jusqu’à cette partie de l’Est ardennais, à la frontière avec la Meuse et la Wallonie, alors on peut trouver là un village tranquille, presque une bourgade, où il est encore possible de s’arrêter dans une boulangerie, un café, un restaurant, un bureau de poste, une école, une épicerie et dans quelques autres commerces, sans compter l’activité agricole typique de ces coins-là. Assez petit pour ne pas être trop grand, et assez grand pour pouvoir se parler dans le dos, Margut résiste tant bien que mal au siphonnage qui a vu la plupart des villages perdre leurs boutiques de proximité, et du même coup une part de leurs lieux de sociabilité.
Ici, en quelque sorte, « t’as rien. Et si tu reviens il n’y aura toujours rien. C’est pour ça que tu reviens. » Pour être là, il faut avoir un goût pour les petites choses. Ce qui en fait un endroit remarquable pour se ressourcer : du bon air, le calme, du temps… On est à mille lieues des regards et du tumulte, et on en est content·e. C’est une quiétude à double tranchant, qui n’est jamais loin de virer à la torpeur. Dans un sens, pour habiter à Margut, il faut savoir s’ennuyer. La tranquillité est une aubaine pour certain·es, presque une planque. Pour d’autres, c’est une version du purgatoire, comme pour Laetitia, ancienne danseuse échouée là depuis la Picardie, qu’on voit errer dans les rues et qui de ses propres mots « n’en peu[t] plus de Margut ». Et le village, impitoyable, le lui rend bien. Sous le calme de surface grouille une multitude d’histoires qui n’ont en commun que le hasard de leur proximité.
La mémoire du village
Dans le vieux Margut habite, rue basse, une espèce de résistant anachronique, un petit homme de quatre-vingts ans dont la seule passion n’a jamais été que de s’intéresser à la vie de la bourgade. Allant s’il le fallait pour les besoins de sa recherche du moment jusqu’à arpenter les archives de Sedan, Jean Beneux, qui n’avait ni voiture ni permis, qui n’était pas équipé d’un ordinateur ni d’une connexion internet, était toujours occupé « à droite à gauche », rarement chez lui, le nez soit dans l’histoire locale soit dans les associations du village et ses affaires au sens large. Là où d’autres entretiennent telle ou telle variété de pommier ancien, comme ici la Rambour, ou telle espèce de mouton endémique ancestral tel l’Ardennais Roux, Jean Beneux s’efforce de perpétuer l’histoire du village et une certaine manière de l’habiter. Il est la mémoire de Margut.
Margut est une entité étrange. Elle regarde passer les siècles avec indifférence, survit à toutes les querelles intestines, et possède assez de caractère pour qu’on s’en plaigne… En effet, il y a, de l’avis de tout le monde, un état d’esprit particulier ici, au point qu’on