1982. Toutes les nuits, les sacs de poudre blanche arrivent à la gare de Donchery par wagons entiers. Le personnel les entasse, en vrac, dans l’usine en face des voies. La poudre sera ensuite brassée avec de l’eau pour en faire une résine. Une fois moulée, elle deviendra une plaquette de freins, un joint de cheminée, ou un tablier résistant à la chaleur. Bienvenue chez Foséco, fournisseur mondial de produits pour l’industrie métallurgique. Et partout, la poussière. Scintillant dans l’air, à travers les tuiles en verre du bâtiment. Sur les machines, au réfectoire, dans les bureaux administratifs ; jusqu’au bar du village ou incrustée aux bleus de travail, devenus blancs. Puis cette poussière infime se loge dans les poumons des salarié·es, de leur famille, des riverain·es.
Homicide par omission
Aujourd’hui, le tranquille village de Donchery, en bord de Meuse, ne voit passer que des TER pour Sedan et Charleville-
Mézières. L’usine en face de la gare a été démantelée, et son terrain dépollué. Foséco a travaillé l’amiante brut de 1961 à 1994, avant de licencier tout son personnel pour raisons économiques. Celui-ci ne connaissait rien du risque encouru. Jusqu’aux années 2000, aux premiers enterrements d’ancien·nes collègues. « Ce qui est terrible, c’est qu’on ne nous a jamais dit que l’amiante était dangereux. Si on avait su, on aurait mis des masques », regrette Michel Lefevre, employé pendant plus de 20 ans dans l’entreprise. La menace de la poudre était pourtant établie par l’État dès 1945. Mais la médecine du travail s’est tue lors des contrôles annuels. Renelle Kulpa n’a trimé que six mois à Foséco. Suffisamment longtemps pour en garder des plaques pleurales : de l’amiante dans l’enveloppe des poumons. « Au moindre souci de santé, on a peur que ça soit l’amiante qui se développe », explique la septuagénaire. Les maladies liées à ce minéral mettent plusieurs décennies à surgir. « C’est une épée de Damoclès, confirme Fabien Nemec, mécanicien dans l’usine pendant treize ans. On pensait gagner notre vie, on la perdait. »
« Une poussière d’enfer »
L’amiante, en raison de sa résistance exceptionnelle à la chaleur, était un pilier de l’économie locale. La métallurgie ardennaise s’arrachait les produits Foséco. Notamment le premier employeur de la région : l’entreprise PSA Peugeot-Citroën, à Charleville-Mézières. Claude Wiart y a travaillé de 1975 à 2017. Le passionné de chasse fabriquait des pièces en métal à proximité de godets Foséco, qui une fois démoulés, engendraient « une poussière d’enfer ». En 2008, l’usine apprenait à Claude qu’il avait été