Cent trente-deux ans après sa mort, l’homme aux semelles de vent semble s’être enfin posé. Terminés, l’aventure, les voyages de découvertes, les républiques sans histoires et les enchantements cueillis. Il est loin le temps des tours d’Europe, d’Afrique, d’ailleurs, et des emplois sans lendemain, d’Aden à l’Abyssinie, ce Moyen-Orient qu’il rêvait de rejoindre à nouveau, même amputé de la jambe droite, et sous n’importe quelle cape. Arthur Rimbaud n’est plus cet explorateur, encore moins un poète, il est une ombre dont la présence peuple chaque recoin, chaque lieu de Charleville-Mézières, sa ville natale.
Une présence permanente
Dès la sortie de la gare, on le trouve, on le sent. Au café de l’Univers, plus vieil établissement de la cité, où il venait jouer du piano et échanger avec son grand ami Ernest Delahaye. Sous les arcades de la place Ducale, dans le centre, où il retrouvait Auguste Bretagne, figure locale qui l’a poussé à écrire pour la toute première fois à Paul Verlaine pour présenter ses textes. Sur les quais de la Meuse où se trouve l’ancienne maison familiale où il vécut de 15 à 21 ans et fuguait pour rejoindre son rêve parisien…
Moins symboliques, plus tapageuses : des traces de Rimbaud se laissent aussi apercevoir sur chaque vitrine commerçante ou presque, de la « librairie Rimbaud » au salon de coiffure « La mèche d’Arthur ». Dans la rue piétonne,
la boutique de Mayone, une artiste propose même bagues, bracelets, et boucles d’oreilles à l’effigie du poète. Plus loin encore, un commerce de vêtements ouvriers vend un t-shirt reprenant le portrait de Rimbaud par Etienne Carjat. « Charleville, c’est Rimbaud, et Rimbaud, c’est Charleville. Les deux sont indissociables ! », s’enthousiasme Élisabeth, jeune retraitée attablée au restaurant La Table d’Arthur.
De son vivant, le poète « voyant » n’avait pourtant pas de mots assez durs pour qualifier son berceau. « Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province », écrit-il à Georges Izambard, son ancien professeur et mentor, en 1870. Il décrit au même personnage quelques mois plus tard sa lassitude de demeurer dans les Ardennes : « Je meurs, je me décompose dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. » Charleville, pour lui, c’est un « triste trou », comme il s’en plaint à Delahaye en 1873, une « horreur ». À tel point qu’il espère presque la voir « occupée » et « pressurée » par des envahisseurs étrangers, d’où qu’ils viennent. Même mépris pour les habitant·es de ce territoire. Qu’ils et elles soient paysan·nnes (« Quelle chierie ! et quels monstres d’innocences, ces paysans ! ») ou