Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

De l’art pour forcer le destin

Mayotte est le plus jeune dépar­te­ment de France. Plus de la moitié de sa popu­la­tion n’a pas atteint ses dix-huit ans selon l’Insee, et une partie de cette classe d’âge vit livrée à elle-même. Dans ce contexte d’inégalités sociales, des asso­cia­tions essayent de les sauver grâce à l’art et, en par­ti­cu­lier, à la danse.

Raïnat Aliloiffa & Marion Joly
Le spec­tacle NARIZ­RON­GO­LOWE, proposé par l’association Hip Hop Evo­lu­tion en col­la­bo­ra­tion avec des artistes como­riens, est présenté devant les lycéen·nes de Tsa­ra­ra­no à Dembéni.

Au cœur d’une ruelle située à Dzaoudzi, le local du Royaume des fleurs ­– Kazya­dance pas­se­rait presque inaperçu. Vu de l’extérieur, il s’agit d’une petite maison avec un portail, comme on en trouve tant en Petite-Terre. Mais lorsque l’on franchit l’entrée, on plonge tête la première dans l’univers de la danse. Le lieu grouille de monde tous les après-midis. Des parents viennent déposer leurs enfants aux cours, des adolescent·es se retrouvent là pour « passer le temps », et les membres de la struc­ture ne cessent de s’affairer. Parmi l’équipe se trouve un prénommé Jésus. Il n’aime pas prendre la parole en public et se cache derrière un sourire crispé et un regard profond qui en dit long sur sa lourde histoire. Pourtant, ce jeune homme de 22 ans exerce ici en tant que pro­fes­seur de danse afro. Il n’est à l’aise qu’en salle de cours, devant ses élèves. « Quand je danse, je m’exprime plus faci­le­ment que lorsque je dois parler », avoue-t-il. Aujourd’hui Jésus figure comme l’un des meilleurs éléments de la struc­ture, bien loin de l’époque où il a été recueilli par les béné­voles, à ses seize ans. « Je suis l’un des anciens enfants qui fou­taient la merde. Je n’avais aucune loi, je n’allais pas à l’école, je ne res­pec­tais rien ni personne », admet-il hum­ble­ment. Après des mois de per­sé­vé­rance de la part des membres de l’organisation et de lui-même, l’artiste a changé du tout au tout. Il n’a pas aban­don­né son style composé de sur­vê­te­ments, mais il n’a plus cette appa­rence négligée d’avant. « Quand je suis arrivé à Kazya­dance, j’ai arrêté toutes les bêtises parce que je me suis rendu compte qu’ici j’avais plus à gagner. Cela m’a sauvé de la délin­quance », recon­naît-il. 

Donner envie aux jeunes de quitter la rue pour l’art, c’est un défi de taille que s’est lancé Djodjo Kazadi, co-fon­da­teur de l’association Le Royaume des fleurs — Kazya­dance. Le danseur pro­fes­sion­nel a décidé de créer cette struc­ture en 2016, par néces­si­té. « J’ai vu qu’il y avait des jeunes qui traî­naient dans les rues. Parfois ils se retrou­vaient dans des endroits pour danser alors un jour je suis allé vers eux, je leur ai montré ce que je savais faire et ils m’ont tout de suite adopté », se souvient-il. Il commence dès lors à trans­mettre ses com­pé­tences à son petit groupe. Les apprenti·es et leur prof se réunissent tantôt dehors, tantôt dans une Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) à accès limité, mais res­sentent de la frus­tra­tion à ne pas pouvoir s’exprimer tota­le­ment. « Je voulais que l’on ait notre propre espace, que l’on puisse entrer sans res­tric­tion. J’ai fini par trouver un endroit pour nous accueillir. » Depuis, le local s’est trans­for­mé en lieu de vie. Les plus petit·es prennent des cours de danse et les enseignant·es sont tout sim­ple­ment les ancien·nes adolescent·es de rue passionné·es par cet art en mou­ve­ment, à l’image de Jésus. L’association l’a engagé en CDI, ce qui lui fournit une certaine garantie pour mener à bien ses projets. « Certains tombent après avoir quitté l’école, on les voit dehors. L’école n’est pas faite pour eux et je peux le com­prendre, mais il faut leur proposer autre chose, leur donner un espace pour qu’ils puissent s’exprimer », assure Djodjo Kazadi, à l’origine de la structure. 

En classe et en dehors

À Tsound­zou, un village de Mamoud­zou, une autre asso­cia­tion œuvre au même 

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