« Mon objectif est de nourrir tous les nécessiteux de Paris. Coluche, ça sera un détail par rapport à notre histoire. » Lotfi Hedfi, 54 ans, est ambitieux. Mais pour l’heure, il est en retard. Derrière ses lunettes aux verres teintés, le Bellevillois depuis 40 ans peste contre le trafic aux abords du marché. Il n’a même pas pris le temps d’ôter sa doudoune tout-terrain, la tournée du jour tourne au ralenti. Sur le volant de l’utilitaire prêté par un cousin, ses mains présentent une phalange en moins, perdue dans une ancienne vie de menuisier. Quatre jours par semaine, Lotfi recueille « une palette d’invendus par commerçant. » Ce vendredi de janvier, maigre récolte. Il faudra se contenter d’une dizaine de cageots. Sur la banquette, son chien Biggy, un American Bully version pocket au collier clinquant or-diamant, rouspète avec lui.
Depuis plus de six mois, Lotfi et une petite dizaine de proches, des habitué·es du quartier Sainte‑Marthe, au sud-ouest de Belleville, récupèrent quotidiennement des plats et denrées alimentaires invendus. Ils se nomment Big2H association solidarité, bien que les statuts n’aient pas encore déposés. Parmi leurs donateurs et donatrices, une société de restauration d’entreprise, six boulangeries et des commerçant·es du marché de Belleville. Les bénévoles mettent ensuite à disposition une partie gratuitement, et distribuent le plus gros lors de maraudes à la mosquée voisine ou à des portes à la périphérie de Paris.
Il est 15 h, l’utilitaire se gare rue Jean-et-Marie-Moinon, en plein centre du petit quartier Sainte‑Marthe. Vus du ciel, ces immeubles de trois étages dessinent une lettre H. Les allées étroites à sens unique Sainte-Marthe et Jean‑et‑Marie-Moinon sont parallèles, reliées à mi-chemin. C’est au niveau de ce trait d’union, « la barre du H » comme l’appellent ses habitant·es, que Lotfi et ses proches ont installé leur QG. Jusqu’à fin 2021, l’équipe Big2H squattait un local du rez‑de‑chaussée. Derrière les deux portes anti-squat grises, près de 30 mètres carrés avec fours et frigos. En décembre, un accord à l’amiable aurait, selon le bailleur, été trouvé pour que les occupant·es quittent l’endroit. Lotfi, lui, jure qu’il a été embarqué en garde à vue lors de l’expulsion.
« Aussi simple que de rouler ce joint »
Depuis, l’équipe continue de se retrouver chaque jour, mais devant le local, dans la rue. Autour de tables dressées sur le trottoir, les filles de Lotfi, ses cousins et ami·es, quasiment tous Tunisien·nes, et une voisine, se relaient pour trier les plats et les répartir dans des sacs individuels. Certain·es habitent le quartier, d’autres y sont juste très attaché·es. Ce matin, le groupe a récupéré assez de denrées pour mille menus complets d’une valeur