Débrouille et des brouilles

Dans le micro-quartier Sainte-Marthe, tour­men­té par la gen­tri­fi­ca­tion, trois ini­tia­tives soli­daires pro­posent des repas quo­ti­dien­ne­ment. Mais Big2H, la plus récente lancée en 2020, dérange.

Miren Garaicoechea & Antoine Martin
Lotfi, membre du col­lec­tif soli­daire Big2H, décharge des sacs de pain de son uti­li­taire en vue d’une dis­tri­bu­tion alimentaire.

« Mon objectif est de nourrir tous les néces­si­teux de Paris. Coluche, ça sera un détail par rapport à notre histoire. » Lotfi Hedfi, 54 ans, est ambi­tieux. Mais pour l’heure, il est en retard. Derrière ses lunettes aux verres teintés, le Bel­le­vil­lois depuis 40 ans peste contre le trafic aux abords du marché. Il n’a même pas pris le temps d’ôter sa doudoune tout-terrain, la tournée du jour tourne au ralenti. Sur le volant de l’utilitaire prêté par un cousin, ses mains pré­sentent une phalange en moins, perdue dans une ancienne vie de menui­sier. Quatre jours par semaine, Lotfi recueille « une palette d’invendus par com­mer­çant. » Ce vendredi de janvier, maigre récolte. Il faudra se conten­ter d’une dizaine de cageots. Sur la ban­quette, son chien Biggy, un American Bully version pocket au collier clin­quant or-diamant, rouspète avec lui. 

Depuis plus de six mois, Lotfi et une petite dizaine de proches, des habitué·es du quartier Sainte‑Marthe, au sud-ouest de Bel­le­ville, récu­pèrent quo­ti­dien­ne­ment des plats et denrées ali­men­taires invendus. Ils se nomment Big2H asso­cia­tion soli­da­ri­té, bien que les statuts n’aient pas encore déposés. Parmi leurs dona­teurs et dona­trices, une société de res­tau­ra­tion d’entreprise, six bou­lan­ge­ries et des commerçant·es du marché de Bel­le­ville. Les béné­voles mettent ensuite à dis­po­si­tion une partie gra­tui­te­ment, et dis­tri­buent le plus gros lors de maraudes à la mosquée voisine ou à des portes à la péri­phé­rie de Paris. 

Il est 15 h, l’utilitaire se gare rue Jean-et-Marie-Moinon, en plein centre du petit quartier Sainte‑Marthe. Vus du ciel, ces immeubles de trois étages des­sinent une lettre H. Les allées étroites à sens unique Sainte-Marthe et Jean‑et‑­Ma­rie-Moinon sont paral­lèles, reliées à mi-chemin. C’est au niveau de ce trait d’union, « la barre du H » comme l’appellent ses habitant·es, que Lotfi et ses proches ont installé leur QG. Jusqu’à fin 2021, l’équipe Big2H squat­tait un local du rez‑de‑chaussée. Derrière les deux portes anti-squat grises, près de 30 mètres carrés avec fours et frigos. En décembre, un accord à l’amiable aurait, selon le bailleur, été trouvé pour que les occupant·es quittent l’endroit. Lotfi, lui, jure qu’il a été embarqué en garde à vue lors de l’expulsion. 

« Aussi simple que de rouler ce joint »

Depuis, l’équipe continue de se retrou­ver chaque jour, mais devant le local, dans la rue. Autour de tables dressées sur le trottoir, les filles de Lotfi, ses cousins et ami·es, qua­si­ment tous Tunisien·nes, et une voisine, se relaient pour trier les plats et les répartir dans des sacs indi­vi­duels. Certain·es habitent le quartier, d’autres y sont juste très attaché·es. Ce matin, le groupe a récupéré assez de denrées pour mille menus complets d’une valeur

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