Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Des artistes à la recherche d’une reconnaissance

Jusqu’en 2019, il n’existait aucune salle de spec­tacle, aucun centre culturel ou de lieu d’échanges de pra­tiques artis­tiques à Mayotte. Depuis 2020, une infra­struc­ture a vu le jour au sud, dans la commune de Chi­ron­gui. C’est trop peu pour les acteurs et actrices du secteur qui alertent depuis des années sur la situa­tion des artistes, qui ne béné­fi­cient d’aucun cadre juri­dique, ins­ti­tu­tion­nel ou social.

Abby Said Adinani & Ibrahim M'Colo
La chan­teuse Zainouni arrive à mélanger tous les rythmes en gardant la touche mahoraise.

Fin août 2022, une agi­ta­tion inha­bi­tuelle règne à Mayotte. À la rentrée scolaire s’est ajoutée la visite non pas d’un, mais de trois représentant·es du gou­ver­ne­ment : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des Outre-mer et Char­lotte Caubel, secré­taire d’État chargée de l’Enfance. Syn­di­cats, asso­cia­tions et col­lec­tifs se sont préparés à ce dépla­ce­ment. Parmi eux, « Les Arts Confon­dus », composé d’une tren­taine d’entrepreneur·es culturel·les. Ses reven­di­ca­tions restent inchan­gées depuis sa création en 2018. La première : la néces­si­té de recon­naître la licence d’entrepreneur du spec­tacle « en place à Mayotte arti­fi­ciel­le­ment, mais ne pouvant s’officialiser à l’issue de la première année, prin­ci­pa­le­ment parce que le régime d’intermittence du spec­tacle ne peut pas s’appliquer », pouvait-on lire dans un courrier en date du 23 août 2022, adressé à Jean-François Carenco. 

Ce jour-là, des membres du col­lec­tif ont ren­con­tré le ministre. « À sa demande », précise Sophie Huvet, sa porte-parole. « Cela montre que les choses changent. D’habitude, c’est nous qui devons faire du forcing pour être reçus. » Les Arts Confon­dus milite aussi pour l’implantation de struc­tures cultu­relles label­li­sées, des for­ma­tions et des aides à l’emploi dans le secteur culturel ou encore le maintien du statut de la Direc­tion des Affaires Cultu­relles (DAC) de Mayotte. La crainte de se retrou­ver de nouveau sous le giron réunion­nais, face à des équipes plus aguer­ries dans la cap­ta­tion de fonds, et dont les prio­ri­tés ne convergent pas avec celles du ter­ri­toire, reste palpable. 

Pas de conven­tion collective

À la question « Comment décri­riez-vous le secteur de la musique à Mayotte ? », une phrase revient inlas­sa­ble­ment : « c’est com­pli­qué ». « Il y a là une injonc­tion contra­dic­toire », recon­naît Gaëlle Metelus, conseillère pour l’éducation artis­tique et cultu­relle, la création, le cinéma et les poli­tiques inter­mi­nis­té­rielles, en poste à la Direc­tion des Affaires Cultu­relles de Mayotte jusqu’en juillet 2022. « On demande aux acteurs de se struc­tu­rer et en même temps, on ne leur donne pas tous les outils pour se déve­lop­per afin de pouvoir fonc­tion­ner comme sur le modèle des autres acteurs cultu­rels français. » Les freins à l’essor du secteur ont pourtant été iden­ti­fiés. « Nous sommes bloqués à cause d’une ligne qui exclut Mayotte des conven­tions col­lec­tives. En tant que dépar­te­ment, nous exigeons que cette ligne soit sup­pri­mée. L’intermittence, c’est une porte d’entrée à la pro­fes­sion­na­li­sa­tion, c’est un indi­ca­teur de struc­tu­ra­tion, cela permet d’accéder au recru­te­ment de pro­fes­sion­nels, cela donne accès aux labels natio­naux et donc à des finan­ce­ments », explique Sophie Huvet des Arts confondus. 

Le manque de dota­tions crée un autre problème. Les ini­tia­tives cultu­relles reposent souvent sur des béné­voles, et sont portées par des passionné·es. C’est ainsi qu’en 2006, Zidini Saïndou Dimassi, plus connu sous le nom de Del, a décidé de se lancer dans l’organisation de MilaT­si­ka. Il s’agit du plus ancien festival de Mayotte, qui réunit près de 2 000 per­sonnes sur deux jours, dans le village de Chiconi au centre ouest de Grande-Terre. « Je me rappelle qu’à l’époque, lorsque nous avons sol­li­ci­té la col­lec­ti­vi­té dépar­te­men­tale, on nous a indiqué qu’il n’y avait pas d’argent pour les fes­ti­vals. Avec ou sans eux, on allait le faire. On a ensuite invité toutes les ins­ti­tu­tions. Personne n’avait jamais vu ça à Mayotte, raconte le fon­da­teur de MilaT­si­ka, dont l’ADN s’appuie sur

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