Géographie de la corneille de Belleville

À Belleville, une bande de corneilles noires s’est installée entre les métros Couronnes et Ménilmontant, profitant des grands arbres, des poubelles, des parcs et du marché. Leurs habitudes révèlent celles du quartier sous un autre jour.

Pauline Briand & Julie Sebadelha
Deux passants viennent perturber le repas des corvidés. Les oiseaux ingurgitent régulièrement de la junk food trouvée dans les poubelles.

La corneille traverse la rue Jean-Pierre-Timbaud d’un pas assuré. Elle jette un coup d’œil aux personnes qui font la queue devant la boulangerie. Aucune d’entre elles ne semble l’avoir remarquée. Alors seulement, elle pose sa patte fermement sur un papier de viennoiserie roulé en boule, le déplie avec son bec pour y grappiller quelques miettes. Fin mars 2020. Le confinement a débuté deux semaines auparavant. La ville est devenue étrangement calme. Incapable de lire ou de travailler, je me suis installée dans un rythme flottant. Cette corneille devant moi, qui vaque à ses occupations, n’a rien de confinée. Elle réveille quelque chose qui m’arrime à une réalité qui semblait avoir été suspendue : la vie se poursuit à l’extérieur.

Jusqu’à présent, je n’avais prêté attention à cette espèce que ponctuellement. J’adorais lire les articles qui traitent de l’intelligence des corvidés, regarder les vidéos où l’on voit des corneilles ou des corbeaux jouer ou résoudre des problèmes. Cette corneille pique ma curiosité. Je me plonge dans la page Wikipédia de l’espèce, particulièrement bien fournie. J’exhume des articles sur les corneilles à Paris qui traitent quasiment tous d’attaques sur les passant·es. Je découvre l’existence du site de sciences participatives corneilles-paris.fr qui permet de suivre leurs déplacements. Je commence à m’intéresser à la communauté, très active sur les réseaux sociaux. J’affûte mon attention pour observer celles que je croise. Au bout de quelques semaines, assignée à mon kilomètre, je peux donc affirmer qu’une bande fréquente le boulevard entre Couronnes et Ménilmontant, et que certaines d’entre elles aiment se chamailler à grands cris dans des joutes aériennes avec les pies du parc de Belleville.

Qu’est-ce qui fascine chez les corneilles quand on commence à les regarder ? Déjà, elles ne sautillent pas, elles marchent, et tiennent leur tête haute. Leurs pattes préhensiles et dotées de longues griffes leur permettent de se saisir des objets et de la nourriture avec dextérité. Les corneilles possèdent un bec puissant et non spécialisé, avec lequel elles fouissent, extirpent, piquent, grattent, pincent, avant de le nettoyer en le frottant sur une surface lisse ou en poinçonnant des boîtes de polystyrène. La corneille est loin de l’animal sauvage qui resterait discret en ville. Comment ne pas être à la fois fascinée et horrifiée quand l’une d’elles fond sur l’un des moineaux du salon de thé de la Grande Mosquée de Paris pour l’emporter ? Confrontée à une corneille, je ressens un sentiment d’altérité.

Peur de rien

Si beaucoup pensent avoir affaire à des corbeaux, c’est bien la corneille noire (Corvus corone) qui arpente les trottoirs parisiens. Le grand Corbeau (Corvus corax), beaucoup plus imposant, a été chassé au point de se retrancher dans les montagnes. La corneille, elle, habite tout le territoire français, où elle est fréquemment abattue pour les dommages qu’elle causerait aux cultures et à la petite faune. « La corneille a plutôt une image négative, une réminiscence des récits bibliques et de son association à la figure du diable, explique Alizé Berthier, géographe dont la thèse de doctorat porte sur

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