Amateurs et amatrices de sensations fortes s’abstenir. C’est une ligne qui roule un peu comme le train fantôme dans les fêtes foraines. Les voitures ont 30 ans et ne dépassent jamais les 40 km/h. Elle nous berce et nous console de nos préoccupations quotidiennes, sans surprise ni dérangement. Enroulée sur elle-même, elle mesure trois kilomètres et ne dessert que huit stations, descendant des hauteurs de la place des Fêtes et de la place Danube jusqu’à se mélanger avec la ligne 7 à Louis Blanc. Une traversée entière dure seulement huit minutes. Elle, c’est la ligne 7bis.
Mise en service en 1911, elle est née comme une branche de la ligne 7, qui allait à l’époque de la place de l’Opéra à la Porte de la Villette. Les stations Jaurès (dénommée Allemagne jusqu’en 1914), Bolivar, Buttes-Chaumont, Botzaris, Danube, place des Fêtes et Pré-Saint-Gervais désenclavaient les quartiers du Combat et d’Amérique, incorporés à Paris en 1860, au moment de l’absorption de la commune de La Villette par la capitale. Très densément peuplée, cette ancienne bourgade avait accueilli les classes populaires parisiennes qui quittaient la ville à cause de la spéculation immobilière déclenchée par les réformes du baron Haussmann. Sur ce territoire encore un peu sauvage cohabitaient des maisons basses de villages et des bâtiments faubouriens de plusieurs étages, souvent insalubres, avec des ateliers d’artisan·es et les carrières de gypse des Buttes-Chaumont et d’Amérique.
Il faut laisser voler l’imagination et voir comment se dessine un quartier assiégé, juché sur des collines et entouré de ses vieilles enceintes : rue Manin au nord, avenue Bolivar à l’ouest, le Périphérique à l’est, inaccessible par le sud par les hautes pentes de la rue de Belleville. Les tours de la Place des Fêtes forment le donjon de cette forteresse, des imprenables mastodontes qui surveillent le XIXe arrondissement sous leur regard fier, de verre et d’acier. Sur la carte de la RATP, une vipère verte, la ligne 7bis s’élance, brisant les murailles internes des quartiers du Combat et d’Amérique, terrassant les côtes, allant reposer sa tête à quelques encablures des buissons du parc de la Butte du Chapeau Rouge.
Peu fréquentée, aujourd’hui elle rend service aux 100 000 voisin·es de ces deux quartiers, plus de la moitié de la population du XIXe arrondissement. La ligne isolée leur permet de monter jusqu’à la place des Fêtes pour faire le marché ou de descendre presque à la Gare du Nord. Quitter la place du village le dimanche matin pour la planète monde.
Une ligne « de village » aussi par le nombre de voyageurs et voyageuses : la 7bis compte quatre des dix stations les moins empruntées du métro parisien. Pré-Saint-Gervais, le terminus nord, n’a vu sur ses quais que quelques 386 948 personnes en 2019. Ce qui la situe comme la troisième moins encombrée du réseau de la RATP. Par comparaison, la station République reçoit 16,6 millions de passager·es par an.
Pour l’architecte Andoni Briones, la 7bis répond à la configuration du bout de territoire : « C’est un quartier isolé par des barrières, architectoniques comme le Périph, et physiques par le dénivelé. C’est logique qu’elle ait sa propre ligne », affirme-t-il.
« Passer sur le Danube »
C’est un peu geek d’écrire sur une ligne de métro, et pourtant on y passe quelques années de sa vie, jusqu’au point où cela peut peser sur notre état d’esprit. On s’y fatigue et on y trouve