La 7bis détruit les montagnes

Il y a dans le réseau du métro parisien une bizar­re­rie, une excep­tion à la norme, un voyage qui se paye avec la carte Navigo, com­plè­te­ment dif­fé­rent des autres trajets. Derrière sa sœur la 3bis, la 7bis est la deuxième ligne la plus courte de l’infrastructure. On la loue pour son calme et sa fami­lia­ri­té, mais elle recèle aussi de nombreux secrets.

Guillermo Rivas Pacheco & Teresa Suárez
La 7bis, couleur vert clair au tableau du métro parisien, est loin d’être la plus fré­quen­tée. On la consi­dère même comme une ligne de quartier.

Amateurs et ama­trices de sen­sa­tions fortes s’abstenir. C’est une ligne qui roule un peu comme le train fantôme dans les fêtes foraines. Les voitures ont 30 ans et ne dépassent jamais les 40 km/h. Elle nous berce et nous console de nos pré­oc­cu­pa­tions quo­ti­diennes, sans surprise ni déran­ge­ment. Enroulée sur elle-même, elle mesure trois kilo­mètres et ne dessert que huit stations, des­cen­dant des hauteurs de la place des Fêtes et de la place Danube jusqu’à se mélanger avec la ligne 7 à Louis Blanc. Une tra­ver­sée entière dure seule­ment huit minutes. Elle, c’est la ligne 7bis.

Mise en service en 1911, elle est née comme une branche de la ligne 7, qui allait à l’époque de la place de l’Opéra à la Porte de la Villette. Les stations Jaurès (dénommée Alle­magne jusqu’en 1914), Bolivar, Buttes-Chaumont, Botzaris, Danube, place des Fêtes et Pré-Saint-Gervais désen­cla­vaient les quar­tiers du Combat et d’Amérique, incor­po­rés à Paris en 1860, au moment de l’absorption de la commune de La Villette par la capitale. Très den­sé­ment peuplée, cette ancienne bourgade avait accueilli les classes popu­laires pari­siennes qui quit­taient la ville à cause de la spé­cu­la­tion immo­bi­lière déclen­chée par les réformes du baron Hauss­mann. Sur ce ter­ri­toire encore un peu sauvage coha­bi­taient des maisons basses de villages et des bâti­ments fau­bou­riens de plu­sieurs étages, souvent insa­lubres, avec des ateliers d’artisan·es et les car­rières de gypse des Buttes-Chaumont et d’Amérique.

Il faut laisser voler l’imagination et voir comment se dessine un quartier assiégé, juché sur des collines et entouré de ses vieilles enceintes : rue Manin au nord, avenue Bolivar à l’ouest, le Péri­phé­rique à l’est, inac­ces­sible par le sud par les hautes pentes de la rue de Bel­le­ville. Les tours de la Place des Fêtes forment le donjon de cette for­te­resse, des impre­nables mas­to­dontes qui sur­veillent le XIXe arron­dis­se­ment sous leur regard fier, de verre et d’acier. Sur la carte de la RATP, une vipère verte, la ligne 7bis s’élance, brisant les murailles internes des quar­tiers du Combat et d’Amérique, ter­ras­sant les côtes, allant reposer sa tête à quelques enca­blures des buissons du parc de la Butte du Chapeau Rouge.

Peu fré­quen­tée, aujourd’hui elle rend service aux 100 000 voisin·es de ces deux quar­tiers, plus de la moitié de la popu­la­tion du XIXe arron­dis­se­ment. La ligne isolée leur permet de monter jusqu’à la place des Fêtes pour faire le marché ou de des­cendre presque à la Gare du Nord. Quitter la place du village le dimanche matin pour la planète monde. 

Une ligne « de village » aussi par le nombre de voya­geurs et voya­geuses : la 7bis compte quatre des dix stations les moins emprun­tées du métro parisien. Pré-Saint-Gervais, le terminus nord, n’a vu sur ses quais que quelques 386 948 per­sonnes en 2019. Ce qui la situe comme la troi­sième moins encom­brée du réseau de la RATP. Par com­pa­rai­son, la station Répu­blique reçoit 16,6 millions de passager·es par an. 

Pour l’architecte Andoni Briones, la 7bis répond à la confi­gu­ra­tion du bout de ter­ri­toire : « C’est un quartier isolé par des bar­rières, archi­tec­to­niques comme le Périph, et phy­siques par le dénivelé. C’est logique qu’elle ait sa propre ligne », affirme-t-il.

« Passer sur le Danube »

C’est un peu geek d’écrire sur une ligne de métro, et pourtant on y passe quelques années de sa vie, jusqu’au point où cela peut peser sur notre état d’esprit. On s’y fatigue et on y trouve 

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