La colline a des yeux

Bel­le­ville dispute à quelques mètres près le titre de colline la plus haute de Paris, juste derrière Mont­martre. Mais que se cache-t-il en dessous ? Du gypse, de l’eau, des fissures, autant d’éléments du sous-sol qui façonnent la vie du quartier en surface.

Mathilde Doiezie & Édouard Ducos
Sous ce regard se cachent les restes des construc­tions des Sources du Nord, vestiges d’un réseau d’eau parisien.

Rares sont les tou­ristes qui se baladent à Bel­le­ville. Encore moins au sommet de cette colline où se situe la place des Fêtes, à l’allure maussade, surtout lorsqu’un brouillard épais s’y est installé au milieu du mois de janvier. Tout en haut de la rue de Bel­le­ville, un étrange bâtiment cir­cu­laire ancien tranche avec la ver­ti­ca­li­té des hautes tours des années 70. Surmonté d’une coupole, on dirait un édifice reli­gieux. Une archi­tec­ture qui a tapé dans l’œil de Jean-Luc Largier quand il est arrivé à Bel­le­ville en 1987. Pho­to­graphe amateur, il aimait passer de longues heures à marcher pour appri­voi­ser son nouveau quartier. 

Aven­tu­reux, il s’est approché et a décou­vert, sous les amas d’ordures et les vieux matelas qui jon­chaient le sol, un bassin d’eau et l’entrée d’un aqueduc sou­ter­rain d’une centaine de mètres : les restes des construc­tions des Sources du Nord. Du XIIe au XVIIIe siècle, ce réseau dis­tri­buait notam­ment les « Eaux de Bel­le­ville », en pro­ve­nance du versant occi­den­tal de la butte. Le dénivelé naturel de 128 mètres per­met­tait d’acheminer jusque dans le centre de Paris de l’eau de pluie drainée par le sol, alors que des champs s’étendaient encore ici. Res­source rare à l’époque, le liquide a été pri­va­ti­sé un temps par l’hôpital Saint-Louis, des confré­ries reli­gieuses ou par le chan­ce­lier de France Philippe Hurault de Cheverny (1528–1599), avant que le réseau soit municipalisé. 

Sur le parcours des « Eaux de Bel­le­ville » se trou­vaient une ving­taine de regards. Des regards pour regarder, vérifier que l’eau s’écoulait bien, qu’elle n’était pas sale ou polluée, pour la protéger des animaux ou des pré­lè­ve­ments privés aussi. Parce qu’elle était très chargée en sels de calcium et en magné­sium, sa consom­ma­tion a fini par être inter­rom­pue. Puis le quartier a été alimenté comme le reste de Paris par des eaux de source comme celle de la Vanne ou l’eau de la Seine et de la Marne. 

Un quartier ouvrier au patri­moine négligé

Sous la terre, et donc à l’abri des regards, le réseau des Sources du Nord s’est fait peu à peu oublier. Restent des noms de rues avec leur col­lec­tion d’hydronymes qui tentent de raviver les mémoires : rue des Cascades, rue de la Mare, rue des Rigoles, rue de la Fon­tai­ne‑au-Roi… Pro­gres­si­ve­ment, les regards sont tombés en désué­tude. Au centre et à l’ouest de Paris les beaux quar­tiers avec un patri­moine his­to­rique entre­te­nu. Au reste les immeubles dressés à la va-vite sans prendre garde à cet héritage, pour répondre à la pression démo­gra­phique et loger le Paris ouvrier et populaire…

Chaus­sures de sécurité aux pieds, gilet orange et sac sur le dos, Jean-Luc Largier se désole de cette situa­tion. Pas­sion­né par ce qu’il a décou­vert en 1987, il s’est retrous­sé les manches. Il a entre­pris de redonner une allure à ces « rares monu­ments de l’architecture civile de l’époque » et à l’aqueduc de Bel­le­ville, « seul monument sou­ter­rain classé de Paris ». Il a déblayé les déchets, délogé les arai­gnées, nettoyé les tags. Il a réins­tal­lé des portes dont il est l’un des seul·es à détenir les clefs, pour protéger les quelques bâtisses encore debout dans le décor contem­po­rain. Avec l’Association des Sources du Nord — Études et pré­ser­va­tion (Asnep) qu’il a

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