Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

La crise de l’or bleu

Inter­na­tio­na­le­ment reconnu comme un droit fon­da­men­tal, l’accès à l’eau n’est, à Mayotte, pas garanti. Absence de rac­cor­de­ment dans les bidon­villes, démo­gra­phie galo­pante face à un réseau des plus vétustes, manque d’infrastructures, magouilles poli­tiques… Les habitant·es subissent au quo­ti­dien la mauvaise gestion de cette res­source pré­cieuse, sur un ter­ri­toire aux avant-postes du dérè­gle­ment climatique. 

Grégoire Mérot & Marion Joly
De nombreux foyers s’alimentent en eau par le biais des bornes‑fontaines, une tâche qui revient souvent aux enfants. Après s’être acquitté·es d’une certaine somme, ils et elles intro­duisent une carte dans la borne pour obtenir de l’eau potable.

« Vous pouvez m’aider ? C’est un peu lourd… » Oui, c’est un peu lourd un bidon de quinze litres pour une enfant de dix ans. Et s’il n’y en avait qu’un ! Echati, comme tous les jours de la semaine, traverse le village de Bandrélé, au sud de Grande-Terre, avec sa brouette. À bord, jer­ri­cans et autres réser­voirs qu’elle remplit d’eau pour toute la famille. Soit huit per­sonnes. Pour boire, se laver, cuisiner. Qu’ad­vien­drait-il sans ses allers-retours ? Sans ses frêles bras, joueurs quand ils guident à vide son engin, fourbus quand ils ont réussi avec peine à hisser la pré­cieuse res­source sur la pla­te­forme. Dou­lou­reux quand ils s’emploient avec l’ensemble de son corps à pousser la brouette grinçante. 

Pour cette Causette d’un autre temps, d’un autre lieu, « c’est comme ça ». Le passage à la borne-fontaine fait partie des nom­breuses corvées des enfants de Mayotte. Ce qui, à certains égards, en fait un bon moment. « Parfois je pourrais ne pas y aller, mais j’y vais quand même pour voir les copines », glisse mali­cieu­se­ment la fillette. Alors, à la fontaine, que l’on met en service à l’aide d’une carte moné­tique, c’est l’ins­tant des rires et des petits secrets, sans jamais gâcher le précieux liquide. 

Un·e habitant·e sur trois ne dispose pas de l’eau courante

Partout sur l’archipel, le quo­ti­dien d’enfants comme Echati se répète. Et pour cause, un·e habitant·e sur trois ne dispose pas de l’eau courante selon les derniers chiffres de l’Insee datant de 2017. Une donnée à mettre en paral­lèle avec la vétusté géné­ra­li­sée : quatre loge­ments sur dix sont des cases en tôle, elles repré­sentent même plus de la moitié des domi­ciles du chef-lieu, Mamoud­zou. Des bangas, majo­ri­tai­re­ment regrou­pés près des man­groves ou sur les flancs de colline, rendant la tâche d’approvisionnement en eau d’autant plus ardue. À l’aune de ces données, l’Agence Régio­nale de Santé (ARS) s’est bien rendu compte de l’absurdité des messages invitant à res­pec­ter les gestes bar­rières, au premier rang desquels le lavage régulier de mains, en temps de Covid. Une ving­taine de « rampes d’eau », gra­tuites, ont alors été mises en place pour rap­pro­cher la res­source de la population. 

Ce qui n’a pas manqué de pro­vo­quer un tollé au sein des déten­teurs et déten­trices de robinets, qui paient cher leurs factures pour un service laissant à désirer. L’ARS s’est ainsi vue accusée de favo­ri­ser l’immigration clan­des­tine en faci­li­tant la vie dans les bidon­villes. Gronde « popu­laire » sur cette île où ce sujet est bien souvent présenté comme la source de tous les maux. La preuve ? Tandis qu’une énième « crise de l’eau » pointait en 2020, les puis­sants « col­lec­tifs des citoyens » — qui ne cachent pas leur haine des Comorien·nes venu·es s’installer — ont incri­mi­né les habitant·es des bidon­villes de gâcher l’eau et d’être, sinon à l’origine, au moins une des causes des coupures quo­ti­diennes. Qu’importe le fait que nombre de Français·es résident éga­le­ment dans les quar­tiers infor­mels. Qu’importe, la réponse de l’ancienne ministre Domi­nique Voynet, alors direc­trice de l’ARS, selon laquelle les rampes d’eau ne représentent

[...]
Pour poursuivre votre lecture et soutenir notre projet, nous vous invitons à commander la revue papier.

Pays est une revue indépendante, sans publicité, éditée par ses quatre cofondateurs et cofondatrices. Pays, la revue qui nous entoure, s’intéresse à un nouveau territoire pour faire mieux que découvrir : comprendre.

Livraison gratuite en France.