La lutte des classes

À Belleville, on trouve une école à chaque coin de rue ou presque. Seulement, toutes sont classées en Réseau d’éducation prioritaire (Rep). Alors certain·es font le choix de l’évitement scolaire par le privé et la nouvelle mixité du quartier ne se retrouve pas sur les bancs.

Estelle Dautry & Victor Point
Cadre dans l’assurance comme son mari, Elsa a refusé de céder à l’évitement scolaire. Ses filles Joséphine et Eléonore se rendent à la maternelle Rampal, classée Rep+.

16 heures 10, un foisonnement de parents et de nounous se pressent le long du fin trottoir de la rue de la Mare, dans le XXe arrondissement. Devant la sortie du groupe scolaire Sainte-Louise, Émilie attend ses deux enfants en discutant avec une amie. Elles habitent le XIXe arrondissement, à quinze minutes à pied. « C’est surtout vis-à-vis du collège public de secteur que je m’inquiétais. Je passais devant tous les matins et j’entendais des insultes, je ne me voyais pas y mettre ma fille aînée », se justifie‑t‑elle. L’an dernier, à la rentrée en CM2 de son aînée, elle l’a inscrite dans une école privée du XIXe. « La directrice était très désorganisée. J’en ai déduit que public ou privé, c’est avant tout une question d’équipe pédagogique. Mais des amis enseignants m’ont dit que le privé permettrait à mes enfants d’avoir plus d’options pour leurs études, alors je les ai changés d’établissement pour un autre privé. » Depuis la rentrée, ses filles sont scolarisées à Sainte‑Louise, la première en 6e et la seconde en CE2.

Rep partout

À Belleville, toutes les écoles maternelles et élémentaires sont classées en Rep ou Rep+ (réseau éducation prioritaire), tandis que huit arrondissements parisiens sur 20 n’en abritent pas une seule. Il faut dire qu’en 2019 le XIXe arrondissement comptait 42,1 % de logements sociaux et le XXe 36,2 % selon la Préfecture de Paris, alors que la moyenne dans la capitale se situe à 21,4 %. Qui dit éducation prioritaire, dit moyens supplémentaires. Depuis la rentrée 2020, l’ensemble des grandes sections, des CP et des CE1 en Rep et Rep+ sont dédoublés, et les effectifs s’élèvent à moins de 15 élèves. 

Pourtant, certaines familles tentent de détourner la carte scolaire du public. La stratégie la plus classique consiste à modifier l’adresse de l’un ou des deux parents. Les vraies dérogations accordées par la Ville de Paris restent exceptionnelles et correspondent à des situations précises : « Les critères sont très restrictifs : pour raison de santé (proximité d’un centre de soin pour enfant handicapé ou de l’hôpital pour un enfant au suivi régulier), les familles monoparentales, ainsi qu’une priorité donnée aux fonctionnaires hospitaliers aux horaires décalés. La même ligne de conduite est appliquée dans les XIe et XIXe arrondissements », abonde Anne Baudonne, adjointe aux affaires scolaires et à la réussite éducative à la mairie du XXe arrondissement.

« Il existe peu de données sur l’évitement scolaire en maternelle et en élémentaire. Là où les enquêtes ont vraiment eu lieu, c’est à partir du collège », assure Julien Grenet, économiste, chercheur au CNRS et à l’École d’économie de Paris. Les moyens supplémentaires accordés aux Rep et Rep+ peuvent-ils amoindrir cette fuite du public ? « Oui, le fait d’être 12 au lieu de 24 permet un meilleur apprentissage et une meilleure gestion de classe, mais la composition sociale parisienne, fait qu’il ne devrait pas y avoir d’établissements en Rep+, c’en est honteux », souligne Julien Grenet. C’est en effet à Paris qu’on trouve le taux de CSP+ le plus élevé de France.

À prendre ou à laisser

Ces conditions d’enseignement exceptionnelles arrivent à convaincre certaines familles favorisées, nouveaux habitant·es du quartier, de scolariser leurs enfants dans le public. Elsa a fait ce choix. Cadre dans l’assurance, comme son mari Xavier, le couple a acheté sur un coup de cœur, il y a sept ans, un appartement avec terrasse rue de Belleville. Éléonore, cinq ans, et Joséphine, trois ans, se rendent toutes les deux à l’école Rampal, petit bâtiment

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