La rue Dénoyez face aux murs

Musée à ciel ouvert, la rue Dénoyez est l’une des allées les plus célèbres de Bel­le­ville depuis une dizaine d’années. Si elle a abrité plu­sieurs ateliers d’artistes, il n’en reste plus qu’un aujourd’hui. Entre ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion et gen­tri­fi­ca­tion, son avenir interroge.

Malik Abchi & Émilie Vernerey
Prudence Beretta, dite Beretta, artiste membre du col­lec­tif Friches et Nous la Paix, partage son temps entre Paris et la Sicile et réalise pein­tures, collages et ins­tal­la­tions en mosaïques. Proche de Pedrô, elle craint l’institutionnalisation de la rue Dénoyez.

Étroite avenue pavée proche du métro Bel­le­ville, la rue Dénoyez ne se contente pas de relier les Folies et La Cantine de Bel­le­ville, deux ins­ti­tu­tions locales. Très appré­ciée des tou­ristes et des influen­ceurs et influen­ceuses, on peut souvent y espion­ner des shoo­tings de mode. Des œuvres de street art mul­ti­co­lores recouvrent tous ses murs, même les devan­tures des res­tau­rants. Rien de com­pa­rable à son image d’antan, lorsque le cabaret de Dénoyez l’animait, fin XVIIIe, puis les célèbres bals des Folies-Bel­le­ville un peu plus tard, mi-XIXe, le trans­for­mant en un lieu de ras­sem­ble­ment festif très popu­laire. Mais quand même dif­fé­rent de ce qu’elle est devenue au début des années 2000 : un endroit moins fré­quen­té et fré­quen­table. Sylvain Perrier, street artiste de 62 ans — on pourrait lui en donner dix de moins — connu sous le pseudo SP38, se rappelle : « Elle crai­gnait, personne n’y mettait les pieds. C’était plutôt triste. » 

L’homme à l’air détendu et la barbe de trois jours fait partie des premier·ères à avoir atterri là, début 2001, après leur expul­sion d’un squat dans le IXe arron­dis­se­ment. Leur arrivée a bou­le­ver­sé la phy­sio­no­mie de la rue Dénoyez : l’art s’en est emparé. « Au départ, on graffait et collait des affiches sur le mur du bar Aux Folies, les agents de la mairie venaient nettoyer quasi-quo­ti­dien­ne­ment, se souvient SP38. Et on recom­men­çait à chaque fois. Ils ont fini par aban­don­ner, et c’est comme ça que la rue s’est mise à se remplir de street art. Des artistes arri­vaient même de l’étranger, surtout de Berlin. » 

L’allée s’est éga­le­ment trans­for­mée en académie à ciel ouvert. « Les bou­tiques-ateliers étaient actives et par­ti­ci­paient à la vie de quartier, explique François Lau­tis­sier, peintre au sourire éclatant. Nous faisions beaucoup d’ateliers. Par exemple, Marie Decraene, notre voisine de l’association La Maison de la Plage, animait des cours de mosaïque pour les enfants du coin. » Les artistes contri­buaient éga­le­ment à la fête de la Rue Dénoyez, grand ras­sem­ble­ment annuel et estival durant lequel les riverain·es venaient décou­vrir leurs œuvres.

Pourquoi cet endroit ? C’est Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, qui leur a proposé de les reloger rue Dénoyez, entre les numéros 16 et 22, en échange de leur expul­sion du squat du IXe arron­dis­se­ment. De leur ins­tal­la­tion est né un col­lec­tif, Friches et Nous la Paix, et des ateliers-bou­tiques. Toute la clique a partagé les adresses, excepté le 16, tenue par une seule personne, Pierre-Louis Naty, dit Pedrô, décédé en octobre 2020.

Pedrô, figure de la rue

L’histoire de la rue semble indis­so­ciable de celle de Pedrô, tant il aura marqué le quartier par sa présence — et par son absence, ses por­traits abondant la rue depuis son décès. Ce per­son­nage barbu, toujours coiffé d’une cas­quette, était plutôt discret. Parfois, on pouvait l’apercevoir, quand il sortait sa basse pour une répé­ti­tion avec son groupe de jazz manouche. Prudence Beretta, dite Beretta, Sici­lienne au regard déter­mi­né, colle régu­liè­re­ment ses œuvres sur les murs de l’allée. Elle a long­temps côtoyé Pedrô. « Il sortait d’une école d’arts déco­ra­tifs et avait commencé par faire de la peinture, décrit-elle. Ce n’est qu’à son arrivée ici qu’il s’est mis à faire du pochoir. » 

Pedrô était connu pour ses pochoirs qu’il affi­chait sur les murs de la rue Dénoyez, mais aussi sur toutes sortes de supports recyclés de plas­tique ou de métal. Ses œuvres repré­sen­taient des por­traits de stars — par­ti­cu­liè­re­ment de Serge Gains­bourg — comme des messages mili­tants, tels ceux réalisés durant l’été 2020 en soutien au mou­ve­ment Black Lives Matter. Toutes sont maintenant

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