Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

La tortue ne partira point

Convoitise ou répulsion, voilà les sentiments qu’ont longtemps suscités les tortues marines, que l’on vienne du nord ou du sud de Mayotte. Vulnérable, en danger d’extinction, voire en danger critique d’extinction dans le monde, celle qui est devenue un emblème de Mayotte fait l’objet d’une bataille féroce entre les braconnièr·es d’un côté, les associations et les institutions de l’autre. Pour la première fois, ces dernières se sont unies autour d’un objectif commun : protéger ces créatures qui contribuent à l’équilibre de leur écosystème.

Abby Said Adinani & Ibrahim M'Colo
Tout au long de l’année, les tortues fréquentent les plages de Mayotte. Leur période de ponte a lieu entre la fin août et la mi-mai. — François-Elie Paute - Oulanga Na Nyamba.

C’est l’histoire d’un homme, originaire d’un petit village du centre-ouest de Mayotte, qui a vécu toute sa vie entre terre et mer. Ali Mari Omar a 52 ans. Il exerce comme responsable des agent·es de surveillance des tortues marines au Conseil départemental de Mayotte. « Je ne peux pas parler de mon travail sans autorisation », annonce-t-il d’emblée. Qu’à cela ne tienne, ce n’est pas la raison qui nous pousse à le rencontrer. Passionné de la mer, l’homme a surtout fondé la première association entièrement dédiée à la protection de l’environnement et des tortues : Oulanga Na Nyamba, traduit en français par « Environnement et Tortue ». Dans les eaux de Mayotte nagent en effet cinq espèces : les tortues verte, imbriquée, caouanne, luth et olivâtre. Seules les deux premières pondent sur les plages de l’île, parmi les plus fréquentées par ces animaux. Si le braconnage est la première cause de leur mortalité à Mayotte — 83 % en moyenne selon le Réseau Échouage Mahorais de Mammifères marins et de Tortues marines (REMMAT) — les chiens errants, la pêche accidentelle ou encore les collisions avec des véhicules nautiques menacent également leur survie sur le territoire. 

Changer les esprits

Retour en 1997. À cette date, une idée turlupine l’esprit d’Ali Mari Omar : créer une association de protection des tortues marines accompagné des membres de sa famille. « Au début, ils ont résisté. Ils ont rigolé aussi », retrace-t-il en riant lui-même, peut-être soulagé que sa bataille n’ait pas été vaine. Il faut dire que jusque dans les années 2000, le reptile à carapace souffrait d’une très mauvaise réputation dans une bonne partie de l’archipel, notamment dans son village, Mangajou. « Si vous regardez bien le procès-verbal de la création de cette association, il n’y a que mes frères et mes cousins. » Malgré son arrêt précoce de l’école, le défenseur de la biodiversité avait toujours rêvé d’un métier en rapport avec la nature. Après avoir exercé dans les forêts, il s’est dirigé vers la mer en 1993, lors de la première campagne de préservation lancée par l’État à Mayotte, en partenariat avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le WWF « Quand j’ai expliqué à mon père que mon travail c’était de protéger les tortues, il a ri pendant un bon moment », décrit-il. Des moqueries, du mépris, Ali Mari Omar en a subi depuis qu’il a choisi de transformer cette occupation en priorité : « Autour de moi, on me surnommait Ba Nyamba, le père des tortues. C’était pour me rabaisser. » 

Il faut dire que la réputation du mammifère le précédait. « Les habitants du Sud ont toujours considéré la tortue comme à l’origine de la lèpre. On racontait qu’il suffisait de se trouver à quelques mètres d’elle pour être contaminé », poursuit l’herpétologiste chevronné. Cette croyance tient probablement une partie de son origine au chélonitoxisme, une intoxication alimentaire liée à l’ingestion de chair de tortue marine qui peut entraîner la mort. Ali Mari Omar se souvient qu’à l’époque, côté nord, la bête était consommée par

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