La valse du marché de Belleville

À la croisée des XIe et XXe arrondissements, il anime les mardis et les vendredis de ses denrées à prix cassés. Sur le marché de Belleville se serre et se presse la foule en quête de bonnes affaires ou simplement de quoi manger. Un rendez‑vous populaire.

Manon Boquen & Benoît Michaëly
Dès cinq heures, dans la nuit encore noire, les commerçant·es s’activent à leurs stands.

À bien y regarder, on dirait que seuls les camions bariolés se reposent de chaque côté du terre‑plein qui sépare le boulevard de Belleville. Au milieu, en cette fin de matinée hivernale, c’est la cohue. Des caddies qui se bousculent, des clémentines tâtées dans tous les sens, et des voix qui tonnent en cœur : « Un euro, un euro ! » Pas besoin de s’appesantir pour que la ritournelle résonne dans un coin de la tête. Au marché de Belleville — qui a vu le jour en 1858 — la somme modique de tout ce qui s’expose vaut son pesant d’or. C’est la raison pour laquelle tant de personnes s’y pressent chaque mardi et vendredi. « Ce qui compte pour les gens, ce sont les ardoises : ils regardent les prix avant tout, constate Foued, quelques heures plus tôt, en installant son étal. Si je vends mes œufs dix centimes de plus qu’un autre commerçant, vous êtes sûrs de retrouver les clients à son stand. »

Les bas coûts à tout prix

Faussement timide sous son bonnet noir d’où ne ressortent que ses yeux bruns, le vendeur d’œufs et de viande connaît le manège. 28 ans qu’il écume les marchés de Belleville, de Barbès et de Joinville — « dans la profession, on les appelle le triangle des Bermudes » — après avoir quitté son poste « trop stressant » dans une société d’alarmes. « J’ai repris l’affaire de mon père, qui faisait de la volaille vivante à Asnières à l’époque », retrace-t-il sans lésiner. À 53 ans, il s’épuise douze à treize heures par jour dans le flonflon de marchandage quotidien. « Mais on gagne bien nos vies, c’est l’appât du gain qui nous fait rester », déballe-t-il.

On aurait du mal à y croire en ne lorgnant que les indications des ardoises de la centaine de stands bellevillois. Un euro le kilo de pommes de terre comme celui d’oignons, un cinquante pour les poivrons ou pour un thé à la menthe, comment s’en sortir au vu de cette effusion de montants incroyablement bas ? Dans sa chaude doudoune noire, le regard encore fatigué, Alexandre D’arpa, élucide : « C’est un marché populaire, on fait de petites marges et on travaille sur de grosses quantités. » Son gagne-pain ? Les fruits et les légumes. Ses journées démarrent sur les chapeaux de roue, direction Rungis à deux heures du matin « pour voir les fournisseurs et les producteurs, récupérer les produits. » Puis, vers cinq heures, le garçon de 35 ans aux grands yeux bleus, visage presque enfantin, arrive à Belleville avec ses trois employés. « Ici, faut pas se le cacher, beaucoup vendent de la merde », lance cet ancien infirmier de bloc opératoire, maintenant président de l’Association des Commerçants des Marchés de Paris (ACMP). Lui promet la qualité à moins de deux euros, pas plus. 

Melting-pot

Du métro de Belleville à celui de Ménilmontant, l’allée se remplit sur le tard. On est loin du Paris de Dutronc sauté de son lit aux aurores, les premières heures respirent le calme avant la tempête. Sur le bitume, on s’installe tranquillement, les caisses de citrons et de poireaux jonchent le sol intact des pas pressés. Alors qu’une rythmique s’ancre — soulever les cartons d’aliments, les vider, recommencer — des stands laissent échapper quelques notes : le chant d’un commerçant ici, une lecture du Coran là. 

Les réchauds de sortie, Hamid et Fazin s’attèlent à la préparation de mets venus

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