La grille à moitié dessoudée se tord sous le poids d’une grappe de supporters, dans le chahut des cris, des drapeaux rouges et noirs et des bras qui s’agitent en direction des joueurs venus célébrer le but avec la tribune. C’est le bordel. Un fumigène craque, nimbant l’effusion de joie d’un nuage écarlate. Ça sent la poudre, la Heineken tiède, un peu la weed. Une odeur de stade dans le désert grisailleux du complexe sportif départemental de La Motte, à Bobigny. Sous le crachin du mois de novembre, un chant monte, porté par une quarantaine de gorges déployées. « C’est nous les enfants d’Ménilmontant, allez Ménil’ ! Populaires, antiracistes et solidaires ! Ménil FC ! »
Entre les tours HLM de la cité des Étoiles, un terrain vague et un parking, le Ménilmontant Football Club 1871 (MFC 1871) mène 5-0 dans le derby du XXe arrondissement qui l’oppose au FC Couronnes. Avant le début du match, des joueurs de l’équipe adverse sont venus saluer la tribune garnie et festive. « Bravo, les mecs ! », a lancé l’un d’eux en filmant le public avec son téléphone. « Ça arrive souvent, rapporte Skinny près de sa glacière qui fait office de buvette. Les gens kiffent. On est connus pour cette ambiance. »
Le professionnalisme des soutiens du MFC 1871, une centaine de membres en activité, détonne dans le monde du foot amateur. Particulièrement pour des matches de Départemental 3, équivalent de la onzième division, où les silhouettes au bord du stade sont habituellement clairsemées. Perché sur une poubelle, Flavien, dit Iaia, fine barbe et veste grise, tourne le dos au terrain pour orchestrer le bal des écharpes. Ancien abonné du Parc des Princes, il était un membre actif du Virage Auteuil. En 2010, la dissolution des associations de supporters du PSG, après la mort de l’un d’entre eux lors d’une rixe, a signé la fin de son histoire avec le club. Un souvenir amer pour les ultras comme lui qui consacraient leur temps et leur énergie à faire vibrer les tribunes.
« Le conflit entre Auteuil et Boulogne [les deux virages rivaux du Parc des Princes] c’était une lutte antiraciste entre une tribune cosmopolite et une autre phagocytée par des groupuscules d’extrême droite », rappelle Iaia, qui fréquente de longue date la mouvance antifa parisienne et le milieu syndical. Fin 2013, lorsqu’il entend pour la première fois parler de la création d’un club autogéré où se retrouvent des militant·es et d’anciens ultras du PSG, c’est « une évidence » pour lui de regagner les tribunes. « Ça regroupait le foot, les copains, l’ambiance de stade et le militantisme », souffle-t-il de sa voix éraillée en s’allumant une énième clope.
Un projet politique
Dans les travées, les yeux suivent vaguement les joueurs, mais les bouches discutent politique. En saluant toutes les têtes, un grand échalas en cache-cou prend des nouvelles de la manifestation de la veille contre les violences faites aux femmes. « Ça a cogné », rapporte un supporter. Il fait référence à des échauffourées entre des membres de l’Action française et les antifascistes présent·es dans le cortège. « Pour moi, ça a été », répond un autre avant de