Le ballon rouge et noir

Opposé au football business et garant de l’héritage révo­lu­tion­naire de la Commune de Paris, le Ménil­mon­tant 1871 FC défend la vision d’un sport popu­laire, anti­ra­ciste et anti­fas­ciste. Créé en 2014 dans le quartier de Bel­le­ville, le club conjugue la passion du ballon rond avec l’engagement poli­tique, dans le but de faire rayonner les luttes sociales au-delà de la sphère militante.

Corentin Le Dréan & Serge Hastom
Fumi­gènes, ban­de­roles et drapeaux, la ferveur des sup­por­ters et sup­por­trices du MFC 1871 détonne au bord des terrains déserts.

La grille à moitié des­sou­dée se tord sous le poids d’une grappe de sup­por­ters, dans le chahut des cris, des drapeaux rouges et noirs et des bras qui s’agitent en direc­tion des joueurs venus célébrer le but avec la tribune. C’est le bordel. Un fumigène craque, nimbant l’effusion de joie d’un nuage écarlate. Ça sent la poudre, la Heineken tiède, un peu la weed. Une odeur de stade dans le désert gri­sailleux du complexe sportif dépar­te­men­tal de La Motte, à Bobigny. Sous le crachin du mois de novembre, un chant monte, porté par une qua­ran­taine de gorges déployées. « C’est nous les enfants d’Ménilmontant, allez Ménil’ ! Popu­laires, anti­ra­cistes et soli­daires ! Ménil FC ! » 

Entre les tours HLM de la cité des Étoiles, un terrain vague et un parking, le Ménil­mon­tant Football Club 1871 (MFC 1871) mène 5–0 dans le derby du XXe arron­dis­se­ment qui l’oppose au FC Cou­ronnes. Avant le début du match, des joueurs de l’équipe adverse sont venus saluer la tribune garnie et festive. « Bravo, les mecs ! », a lancé l’un d’eux en filmant le public avec son télé­phone. « Ça arrive souvent, rapporte Skinny près de sa glacière qui fait office de buvette. Les gens kiffent. On est connus pour cette ambiance. »

Le pro­fes­sion­na­lisme des soutiens du MFC 1871, une centaine de membres en activité, détonne dans le monde du foot amateur. Par­ti­cu­liè­re­ment pour des matches de Dépar­te­men­tal 3, équi­valent de la onzième division, où les sil­houettes au bord du stade sont habi­tuel­le­ment clair­se­mées. Perché sur une poubelle, Flavien, dit Iaia, fine barbe et veste grise, tourne le dos au terrain pour orches­trer le bal des écharpes. Ancien abonné du Parc des Princes, il était un membre actif du Virage Auteuil. En 2010, la dis­so­lu­tion des asso­cia­tions de sup­por­ters du PSG, après la mort de l’un d’entre eux lors d’une rixe, a signé la fin de son histoire avec le club. Un souvenir amer pour les ultras comme lui qui consa­craient leur temps et leur énergie à faire vibrer les tribunes.

« Le conflit entre Auteuil et Boulogne [les deux virages rivaux du Parc des Princes] c’était une lutte anti­ra­ciste entre une tribune cos­mo­po­lite et une autre pha­go­cy­tée par des grou­pus­cules d’extrême droite », rappelle Iaia, qui fré­quente de longue date la mouvance antifa pari­sienne et le milieu syndical. Fin 2013, lorsqu’il entend pour la première fois parler de la création d’un club autogéré où se retrouvent des militant·es et d’anciens ultras du PSG, c’est « une évidence » pour lui de regagner les tribunes. « Ça regrou­pait le foot, les copains, l’ambiance de stade et le mili­tan­tisme », souffle-t-il de sa voix éraillée en s’allumant une énième clope.

Un projet politique

Dans les travées, les yeux suivent vague­ment les joueurs, mais les bouches dis­cutent poli­tique. En saluant toutes les têtes, un grand échalas en cache-cou prend des nou­velles de la mani­fes­ta­tion de la veille contre les vio­lences faites aux femmes. « Ça a cogné », rapporte un sup­por­ter. Il fait réfé­rence à des échauf­fou­rées entre des membres de l’Action fran­çaise et les anti­fas­cistes présent·es dans le cortège. « Pour moi, ça a été », répond un autre avant de

[...]
Pour poursuivre votre lecture et soutenir notre projet, nous vous invitons à commander la revue papier.

Pays est une revue indépendante, sans publicité, éditée par ses quatre cofondateurs et cofondatrices. Pays, la revue qui nous entoure, s’intéresse à un nouveau territoire pour faire mieux que découvrir : comprendre.

Livraison gratuite en France.