Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Le lagon, victime de la pollution

La mangrove et le lagon de Mayotte souffrent d’une gestion cala­mi­teuse des déchets, entre mau­vaises pra­tiques des professionnel·les, laxisme des auto­ri­tés et expan­sion des bidon­villes sur les hauteurs de l’île. L’action de quelques asso­cia­tions pour limiter la casse semble bien insuf­fi­sante face à ce qui devient un enjeu de survie pour le territoire.

Yohann Deleu & Pierre Terraz
Houmadi Daoud, agri­cul­teur, sort un réfri­gé­ra­teur d’un ruisseau en contre­bas de Majicavo Lamir. Non pas pour le mettre à la poubelle, mais pour s’en servir comme sta­bi­li­sa­teur de sol dans sa bananeraie.

À bout de bras, sans matériel de pro­tec­tion, Houmadi Daoud sort un réfri­gé­ra­teur du lit d’un ruisseau. Derrière lui, un vaste tas de détritus qu’il a glanés ici, à quelques mètres de la mangrove de Majicavo Lamir, un quartier de Koungou, au nord-est de Grande‑Terre. Mais si cet agri­cul­teur sue à grosses gouttes pour col­lec­ter les ordures qui polluent cet espace en théorie protégé par la loi Littoral, ce n’est pas pour des motifs envi­ron­ne­men­taux. «Au lieu de les ramasser, je les recouvre, ça tient bien la terre et ça retient l’humidité pour la banane », sourit le culti­va­teur, fier de montrer les bana­niers qu’il a plantés sur un sol sta­bi­li­sé à l’aide de tonnes de déchets mois­son­nés dans cette zone trans­for­mée en décharge. Soucieux de ren­ta­bi­li­ser sa parcelle, il y a même installé une route en béton sur pilotis qui va de la natio­nale jusqu’à la plage, pour accéder à son terrain en voiture. « Je fais tout pour avoir une bonne activité. Comme les autres, j’ai beaucoup de projets, insiste-t-il. Pour l’instant, c’est la banane, et après, Inch’Allah ! »

Sans cesse recommencer

À Mayotte, la mangrove, bouclier du littoral, repré­sente quelque 700 hectares de forêt humide, et abrite des espèces endé­miques pro­té­gées tel que le crabier blanc. Elle sert aussi de pou­pon­nière à toutes sortes de poissons. Des struc­tures publiques comme l’Office Français de la Bio­di­ver­si­té (OFB), ou asso­cia­tives comme Nayma et les Natu­ra­listes de Mayotte, luttent pour sa pré­ser­va­tion. Le discours tenu par Houmadi Daoud exaspère donc Ali Abou Attou­ma­ni, enca­drant tech­nique dans l’association Nayma, qui œuvre à nettoyer les côtes de Mayotte, jonchées de déchets du nord au sud. « Il ne se rend pas compte que derrière, ça va nous donner du fil à retordre », grince ce militant de la cause envi­ron­ne­men­tale. En s’avançant dans la mangrove de Majicavo Lamir, le salarié de l’organisation fait un constat guère plus relui­sant : aux arbres, de longs fila­ments de plas­tique pendent des palé­tu­viers comme de vieilles guir­landes que l’on aurait oublié de retirer d’un sapin décharné. Au sol, deux gros pneus de camion ont l’air d’avoir été délestés là tout récem­ment. Et un peu partout, la dernière marée a déposé des canettes vides et d’autres détritus. Dans le sable, une pous­sette défoncée semble vouloir prouver qu’ici, tout est permis. « Pourtant, on est déjà passés au moins trois fois, c’était jonché de canettes, et après tout était propre, mais les déchets ravinés par les pluies remontent avec la marée jusqu’aux plages. C’est démo­ra­li­sant, car nos salariés ne voient pas trop à quoi ça sert de nettoyer », souffle l’encadrant, solide tren­te­naire, cas­quette à l’ef­fi­gie de Nayma sur la tête. « Mais il faut penser aux géné­ra­tions futures », se reprend-il.

Son équipe d’une tren­taine de per­sonnes se trouve cin­quante mètres plus haut, répartie le long d’une ravine qui alimente la mangrove en eau douce. Toutes sont des contrac­tuelles en inser­tion, recru­tées par l’association pour les aider à (re) mettre un pied dans le monde du travail. Pour certain·es, comme la jeune Nedjima Attou­mane, 18 ans, c’est une occasion de gagner quelques cen­taines d’euros durant les vacances de l’hiver austral tout en se sentant utile. « Cela m’occupe, je préfère nettoyer les man­groves et les rivières que de rester à la maison à ne rien faire. C’est impor­tant, parce qu’ici il y a plein de maladies, et les man­groves nous pro­tègent des tsunamis, et pro­tègent la mer et les poissons de la pol­lu­tion. C’est d’autant plus crucial qu’avec le volcan sous-marin, Mayotte coule. Mais c’est déses­pé­rant, car on nettoie aujourd’hui et le len­de­main on retrouve les mêmes déchets. Seule­ment, on va aussi sen­si­bi­li­ser les gens, sourit-elle, en se pré­sen­tant comme

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