À bout de bras, sans matériel de protection, Houmadi Daoud sort un réfrigérateur du lit d’un ruisseau. Derrière lui, un vaste tas de détritus qu’il a glanés ici, à quelques mètres de la mangrove de Majicavo Lamir, un quartier de Koungou, au nord-est de Grande‑Terre. Mais si cet agriculteur sue à grosses gouttes pour collecter les ordures qui polluent cet espace en théorie protégé par la loi Littoral, ce n’est pas pour des motifs environnementaux. « Au lieu de les ramasser, je les recouvre, ça tient bien la terre et ça retient l’humidité pour la banane », sourit le cultivateur, fier de montrer les bananiers qu’il a plantés sur un sol stabilisé à l’aide de tonnes de déchets moissonnés dans cette zone transformée en décharge. Soucieux de rentabiliser sa parcelle, il y a même installé une route en béton sur pilotis qui va de la nationale jusqu’à la plage, pour accéder à son terrain en voiture. « Je fais tout pour avoir une bonne activité. Comme les autres, j’ai beaucoup de projets, insiste-t-il. Pour l’instant, c’est la banane, et après, Inch’Allah ! »
Sans cesse recommencer
À Mayotte, la mangrove, bouclier du littoral, représente quelque 700 hectares de forêt humide, et abrite des espèces endémiques protégées tel que le crabier blanc. Elle sert aussi de pouponnière à toutes sortes de poissons. Des structures publiques comme l’Office Français de la Biodiversité (OFB), ou associatives comme Nayma et les Naturalistes de Mayotte, luttent pour sa préservation. Le discours tenu par Houmadi Daoud exaspère donc Ali Abou Attoumani, encadrant technique dans l’association Nayma, qui œuvre à nettoyer les côtes de Mayotte, jonchées de déchets du nord au sud. « Il ne se rend pas compte que derrière, ça va nous donner du fil à retordre », grince ce militant de la cause environnementale. En s’avançant dans la mangrove de Majicavo Lamir, le salarié de l’organisation fait un constat guère plus reluisant : aux arbres, de longs filaments de plastique pendent des palétuviers comme de vieilles guirlandes que l’on aurait oublié de retirer d’un sapin décharné. Au sol, deux gros pneus de camion ont l’air d’avoir été délestés là tout récemment. Et un peu partout, la dernière marée a déposé des canettes vides et d’autres détritus. Dans le sable, une poussette défoncée semble vouloir prouver qu’ici, tout est permis. « Pourtant, on est déjà passés au moins trois fois, c’était jonché de canettes, et après tout était propre, mais les déchets ravinés par les pluies remontent avec la marée jusqu’aux plages. C’est démoralisant, car nos salariés ne voient pas trop à quoi ça sert de nettoyer », souffle l’encadrant, solide trentenaire, casquette à l’effigie de Nayma sur la tête. « Mais il faut penser aux générations futures », se reprend-il.
Son équipe d’une trentaine de personnes se trouve cinquante mètres plus haut, répartie le long d’une ravine qui alimente la mangrove en eau douce. Toutes sont des contractuelles en insertion, recrutées par l’association pour les aider à (re) mettre un pied dans le monde du travail. Pour certain·es, comme la jeune Nedjima Attoumane, 18 ans, c’est une occasion de gagner quelques centaines d’euros durant les vacances de l’hiver austral tout en se sentant utile. « Cela m’occupe, je préfère nettoyer les mangroves et les rivières que de rester à la maison à ne rien faire. C’est important, parce qu’ici il y a plein de maladies, et les mangroves nous protègent des tsunamis, et protègent la mer et les poissons de la pollution. C’est d’autant plus crucial qu’avec le volcan sous-marin, Mayotte coule. Mais c’est désespérant, car on nettoie aujourd’hui et le lendemain on retrouve les mêmes déchets. Seulement, on va aussi sensibiliser les gens, sourit-elle, en se présentant comme