Le vernis s’écaille

La vague du vernis semi-per­ma­nent déferle sur Paris depuis dix ans, notam­ment à Bel­le­ville. À l’intérieur d’ongleries qui ne cessent d’ouvrir, les pro­thé­sistes sont en première ligne. Les nou­velles pra­tiques ont le vent en poupe, mais ne sont pas sans risque.

Antonin Plu & Juliette Avice
Chez Lili Beauté, on tra­vaille en famille. Ces deux employées sont les cousines de la tenan­cière et pro­prié­taire des lieux, Lifang Chen. Tous les mois, elle leur fait passer des examens des poumons pour vérifier que les produits utilisés en salon, qui peuvent être toxiques, n’ont pas de réper­cus­sions sur leur santé.

Tandis que le vent de janvier se réveille, la nuit et de fines gouttes de pluie tombent sur la rue des Cou­ronnes. Les vitres opaques sous la devan­ture rose pétante ne laissent pas deviner l’effervescence de ce local de Bel­le­ville. À l’intérieur, les « ma chérie » fusent. Aux com­mandes : Lifang Chen, gérante de Lili Beauté, s’occupe de ses client·es et de ses deux employées. Vêtues d’une blouse bleu clair, ces der­nières jonglent avec dex­té­ri­té entre les ongles colorés qu’elles peignent. 

Aucune musique d’ambiance ne vient inter­rompre le cli­que­tis rapide des limes à ongles et des flacons de vernis. Malgré les vœux de bonne année et une atmo­sphère cha­leu­reuse, le sérieux règne. Pandémie oblige, les panneaux en plexi­glas et les masques chi­rur­gi­caux sont de sortie, mais ce n’est pas tout. Au milieu de l’onglerie trône une armoire remplie de divers gants jetables. Et Lifang ne rigole pas du tout avec cette pro­tec­tion en caou­tchouc : « Sauf allergie au latex ou autre, interdit de tra­vailler sans gants, ce sont les règles ! » 

Sub­stances toxiques

Pour une fois ces derniers mois, le Covid-19 n’a rien à voir avec cette consi­dé­ra­tion pour la propreté des mains. Certes le mur de vernis bariolés enjolive le salon, mais il est aussi res­pon­sable de la règle non négo­ciable de Lifang. Selon un rapport de l’l’Agence natio­nale de sécurité sani­taire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) de 2017, environ 700 sub­stances ont été iden­ti­fiées dans la com­po­si­tion des produits utilisés en onglerie. Parmi eux, 60 sont jugées très pré­oc­cu­pantes dont l’acétaldéhyde, les métha­cry­lates ou le toluène. L’emploi de ces sub­stances dans le vernis semi-per­ma­nent peut causer des der­ma­tites et des pro­blèmes res­pi­ra­toires. S’il n’est pas à pro­pre­ment parler un vernis (plutôt un gel acry­lique), il a une tenue plus durable que les versions tra­di­tion­nelles. Véri­table phé­no­mène de société, le semi-per­ma­nent néces­site une tech­nique spé­ci­fique pour être retiré. 

Pour répondre à la demande, de nombreux salons sont apparus depuis dix ans à Paris et notam­ment à Bel­le­ville. Tous les trois ans, la Ville de Paris, la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) et l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) réa­lisent une étude sur l’évolution des com­merces de la capitale. La dernière, datant d’octobre 2020, recen­sait pas moins de 460 ongle­ries et 122 nou­velles (+32 %), dont deux à Bel­le­ville, en trois ans et demi. À noter que ces com­merces sont très majo­ri­tai­re­ment tenus par des femmes.

Au salon Question d’Ongles, 900 mètres plus loin, la patronne Karen Morel utilise des papillotes de coton imbibées d’acétone et de dis­sol­vant pour enlever gel ou résine. Mais surtout, pas de ponceuse : « C’est plus rapide, on peut le faire à la chaîne, mais c’est trop puissant. J’ai eu des retours négatifs et il suffit de regarder des com­men­taires sur Google. » En effet, il faut deux minutes à Sophie de Sonia Beauté pour se débar­ras­ser du vernis semi-per­ma­nent. Dans le premier salon installé rue de Bel­le­ville, pas de crainte au moment de manier l’instrument. Pour Sophie, cheveux roux et veste fuchsia : « Tant que c’est bien fait, il n’y a pas de problème, ça n’abîme pas les ongles. J’explique aux clientes ce que je fais à chaque étape, avec moi promis, ça ne casse pas ! »

Plus que les client·es et la santé de leurs doigts, ce sont avant tout les esthéticien·nes qui

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