Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Les cica­trices de l’histoire

Mayotte et sa mémoire souffrent d’un regard his­to­rique dif­fé­ren­cié. Alors que les gou­ver­ne­ments como­riens suc­ces­sifs la consi­dèrent comme illé­ga­le­ment occupée par la France, l’île est au contraire envi­sa­gée comme fran­co­phile depuis le XVIIIe siècle par les partisan·es de « Mayotte la Fran­çaise ». Du roman national à la réalité his­to­rique, cher­cheurs, cher­cheuses et historien·nes détri­cotent le mythe du réel.

Cyril Castelliti & Franck Tomps
La pointe Mahabou est située entre le port de plai­sance et la mangrove au sud de Mamoud­zou. Cette petite colline en bordure du lagon est aménagée en parc paysager et abrite à son sommet le tombeau royal d’Andriantsoly, dernier sultan de Mayotte, érigé selon le modèle malgache.

« Mayotte est fran­çaise et le restera à jamais ». Imprimé en carac­tère gras sur un fond tri­co­lore, ce slogan accueille les visi­teurs et les visi­teuses dès leur arrivée à Mamoud­zou. Impos­sible de rater le message de ce panneau dressé sur la place de la Répu­blique depuis octobre 2019. 

Cette ini­tia­tive s’inscrit au départ dans le cadre de la venue pré­si­den­tielle durant cette même période, sous l’impulsion du député mahorais Mansour Kamar­dine (LR). La signa­lé­tique sur­pre­nante n’est pourtant pas seule­ment destinée au chef de l’État. Il s’agit aussi d’une réponse à une pancarte simi­laire plantée en plein centre de Moroni, la capitale de l’Union des Comores. État qui, depuis son indé­pen­dance en 1975, consi­dère Mayotte comme une com­po­sante de son ter­ri­toire national. Non loin du prin­ci­pal port, les badaud·es peuvent ainsi lire depuis plus de dix ans en lettres majus­cules « Mayotte est como­rienne et le restera à jamais ». Une ini­tia­tive du Comité Maore, orga­nisme de lobbying, dont l’objectif vise, à terme, le rat­ta­che­ment de « l’île como­rienne de Mayotte ». 

Symbole des tiraille­ments de la région, ce duel de panneaux résume une situa­tion poli­tique complexe et instable. Côté comorien, l’État justifie sa doléance sur la base des dizaines de réso­lu­tions des Nations Unies qui rap­pellent sa sou­ve­rai­ne­té sur Mayotte. Côté français, l’argument est balayé au revers des réfé­ren­dums réalisés sur l’île depuis 1974. Lesquels sont censés traduire un atta­che­ment popu­laire, en dépit des pro­tes­ta­tions como­riennes et des hési­ta­tions des gou­ver­ne­ments français suc­ces­sifs. Dans ce contexte tendu, l’Histoire de Mayotte devient un objet de récu­pé­ra­tion poli­tique en fonction des reven­di­ca­tions de chacun·e. 

Roman national contre réalité historique

Pour l’Union des Comores, l’occupation illégale de l’île como­rienne de Mayotte s’inscrit dans l’aboutissement d’un pro­ces­sus colonial qui commence par la prise de l’île en 1841. Pour les partisan·es de « Mayotte la Fran­çaise », cette date marque au contraire le début d’un rapport paci­fique et pro­tec­teur de la France vis-à-vis des pré­da­tions des îles voisines. En témoigne le récit rédigé par l’une des figures de proue du rat­ta­che­ment de Mayotte au sein du giron français : le roya­liste Pierre Pujo, direc­teur de la revue d’extrême droite Aspects de la France, l’hebdomadaire d’Action fran­çaise. Le militant s’est investi acti­ve­ment, à partir de 1974, dans le « Comité de soutien pour l’autodétermination du peuple mahorais ». Le groupe de lobbying se compose de jour­na­listes, poli­tiques et avocat·es uni·es qui veulent main­te­nir Mayotte en France. Jusqu’à sa mort en 2007, le nos­tal­gique de l’Empire colonial abreuve l’opinion, les député·es, les séna­teurs et séna­trices, de sa pro­pa­gande. Il syn­thé­tise son enga­ge­ment en 1993 dans son ouvrage Mayotte la Fran­çaise, qui débute par une pré­sen­ta­tion aux allures de conte pour

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