C’est un vendredi soir particulier pour Tissianty et Naoufal, respectivement 26 et 33 ans. Le lendemain a lieu leur manzaraka, devenu le point d’orgue des célébrations autour du mariage coutumier. Cette date cristallise des mois, voire des années de préparatifs. Les festivités se déroulent dans le village de la mariée, société matrilocale oblige. « Oui, mais ici, nous ne sommes pas chez elle, mais chez nous », souligne Naoufal, tout sourire, en s’adossant à l’îlot central de la cuisine fraîchement rénovée. Voilà une semaine que le couple est marié religieusement et que leur vie à deux a pu commencer. Un mafungidzo arrivé après deux ans à se côtoyer et quatre années de fiançailles.
L’accalmie avant la fête
« Pour qu’une union soit reconnue, il faut que la personne responsable de la jeune fille — son père, son grand-père, son oncle, son frère — soit d’accord pour accorder la main de celle-ci. Il faut aussi que la dot soit acceptée de tous, que les deux personnes concernées soient consentantes et que deux témoins intègres soient présents le jour de cette union, explique Saïd Ali Mondroha, chargé d’études et de Recherche au sein du Conseil cadial, l’instance qui représente l’autorité religieuse à Mayotte. Les festivités ne sont pas interdites, bien sûr, mais c’est un plus. Si les familles veulent. Si elles le peuvent. » Ces réjouissances, Tissianty et Naoufal se préparent à les vivre. Cela fait quatre ans que le tandem enchaîne shikoa sur shikoa, afin d’épargner entre 500 et 1 500 euros tous les mois. « Nous aurions pu nous arrêter au mafungidzo, confesse Tissianty en haussant les épaules. Financièrement, c’était très dur, mais ma mère y tenait. Et puis, à force de faire les manzaraka des autres, toi aussi, tu as envie de faire le tien. » En plus de leur manzaraka, au moins cinq festivités supplémentaires sont programmées sur une période de deux semaines. « C’est surtout pour faire plaisir à la famille, surenchérit Naoufal. Maintenant, on ne va pas bouder. On profite des nôtres et de ces moments de joie. »
Ce soir, comme tous les soirs depuis une semaine, un membre de la famille de Tissianty s’est déplacé pour venir les masser. « C’est la tradition », explique la tante de la mariée en rangeant le reste de la mixture faite de coco, de curcuma et de jasmin, qu’elle leur appliquait quelques minutes auparavant. À quelques rues de là, l’ambiance change du tout au tout. Les deux familles originaires du village de Tsingoni, au centre-ouest de Mayotte, ne vont pas beaucoup dormir. Le manzaraka, ce sont en effet entre 500 et 1 500 personnes qu’il faut accueillir, nourrir et divertir, le temps d’une demi‑journée. Le couple profite quant à lui de ses derniers moments de mfukareni. « On pourrait traduire le mfukare par la septaine », explique Abdoul-Karime Ben Said, le directeur du Musée de Mayotte (MuMA). Aujourd’hui, dans cette société moderne où tout le monde travaille, c’est compliqué de suivre les traditions à la lettre. Mais à l’époque, après le mafungidzo, si le marié décidait de ne pas faire plus de manifestations, il faisait le tour du village avec ses témoins, en habits d’apparat pour signifier la clôture de la période de célébrations. » La pratique s’est perpétuée jusque dans les