Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Mariages, liesses et liasses

En moins de vingt ans, le mariage cou­tu­mier, l’un des socles fon­da­teurs de la société maho­raise, a connu une évo­lu­tion ful­gu­rante. Véri­table enjeu sociétal, il est désor­mais décrit comme chro­no­phage, usant et coûteux. Des voix de plus en plus nom­breuses s’élèvent contre la mue de cette ins­ti­tu­tion : une course fré­né­tique à la démesure.

Abby Said Adinani & Ibrahim M'Colo
Lorsque le mari découvre sa femme après la remise de la dot, le cadi, repré­sen­tant reli­gieux mahorais, demande aux marié·es de se tenir la main pour bénir leur union.

C’est un vendredi soir par­ti­cu­lier pour Tis­sian­ty et Naoufal, res­pec­ti­ve­ment 26 et 33 ans. Le len­de­main a lieu leur man­za­ra­ka, devenu le point d’orgue des célé­bra­tions autour du mariage cou­tu­mier. Cette date cris­tal­lise des mois, voire des années de pré­pa­ra­tifs. Les fes­ti­vi­tés se déroulent dans le village de la mariée, société matri­lo­cale oblige. « Oui, mais ici, nous ne sommes pas chez elle, mais chez nous », souligne Naoufal, tout sourire, en s’adossant à l’îlot central de la cuisine fraî­che­ment rénovée. Voilà une semaine que le couple est marié reli­gieu­se­ment et que leur vie à deux a pu com­men­cer. Un mafun­gid­zo arrivé après deux ans à se côtoyer et quatre années de fiançailles. 

L’accalmie avant la fête

« Pour qu’une union soit reconnue, il faut que la personne res­pon­sable de la jeune fille — son père, son grand-père, son oncle, son frère — soit d’accord pour accorder la main de celle-ci. Il faut aussi que la dot soit acceptée de tous, que les deux per­sonnes concer­nées soient consen­tantes et que deux témoins intègres soient présents le jour de cette union, explique Saïd Ali Mondroha, chargé d’études et de Recherche au sein du Conseil cadial, l’instance qui repré­sente l’autorité reli­gieuse à Mayotte. Les fes­ti­vi­tés ne sont pas inter­dites, bien sûr, mais c’est un plus. Si les familles veulent. Si elles le peuvent. » Ces réjouis­sances, Tis­sian­ty et Naoufal se pré­parent à les vivre. Cela fait quatre ans que le tandem enchaîne shikoa sur shikoa, afin d’épargner entre 500 et 1 500 euros tous les mois. « Nous aurions pu nous arrêter au mafun­gid­zo, confesse Tis­sian­ty en haussant les épaules. Finan­ciè­re­ment, c’était très dur, mais ma mère y tenait. Et puis, à force de faire les man­za­ra­ka des autres, toi aussi, tu as envie de faire le tien. » En plus de leur man­za­ra­ka, au moins cinq fes­ti­vi­tés sup­plé­men­taires sont pro­gram­mées sur une période de deux semaines. « C’est surtout pour faire plaisir à la famille, sur­en­ché­rit Naoufal. Main­te­nant, on ne va pas bouder. On profite des nôtres et de ces moments de joie. » 

Ce soir, comme tous les soirs depuis une semaine, un membre de la famille de Tis­sian­ty s’est déplacé pour venir les masser. « C’est la tra­di­tion », explique la tante de la mariée en rangeant le reste de la mixture faite de coco, de curcuma et de jasmin, qu’elle leur appli­quait quelques minutes aupa­ra­vant. À quelques rues de là, l’ambiance change du tout au tout. Les deux familles ori­gi­naires du village de Tsingoni, au centre-ouest de Mayotte, ne vont pas beaucoup dormir. Le man­za­ra­ka, ce sont en effet entre 500 et 1 500 per­sonnes qu’il faut accueillir, nourrir et divertir, le temps d’une demi‑journée. Le couple profite quant à lui de ses derniers moments de mfu­ka­re­ni. « On pourrait traduire le mfukare par la septaine », explique Abdoul-Karime Ben Said, le direc­teur du Musée de Mayotte (MuMA). Aujourd’hui, dans cette société moderne où tout le monde tra­vaille, c’est com­pli­qué de suivre les tra­di­tions à la lettre. Mais à l’époque, après le mafun­gid­zo, si le marié décidait de ne pas faire plus de mani­fes­ta­tions, il faisait le tour du village avec ses témoins, en habits d’apparat pour signi­fier la clôture de la période de célé­bra­tions. » La pratique s’est per­pé­tuée jusque dans les

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