Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Mater­ni­té de Mamoud­zou : trop de travail

À Mamoud­zou, la plus grande mater­ni­té d’Europe enre­gistre chaque année un nombre de nais­sances record. Alors qu’est mise en cause l’immigration clan­des­tine des Como­riennes, et qu’une excep­tion légale res­treint le droit du sol sur l’île, les professionnel·les de santé dénoncent surtout une gestion défaillante et le manque de res­pon­sa­bi­li­té du gouvernement.

Pierre Terraz & Marion Joly
Devant la mater­ni­té, des femmes enceintes attendent parfois des heures avant d’être examinées.

Une journée type ? Impos­sible à décrire pour Yasmine, 27 ans, sage-femme aux urgences gyné­co­lo­giques du Centre Hos­pi­ta­lier de Mayotte (CHM) : « Ce matin, j’ai commencé ma garde à 7 h. Il est main­te­nant 8 h 30, j’ai déjà vu 11 patientes, dont une vient d’accoucher juste là. » Elle pointe du doigt un brancard collé contre le mur de son bureau, une pièce exiguë qui sert en temps normal aux simples consul­ta­tions, où seul un rideau blanc cache la vue d’un couloir bondé. À cet endroit attendent d’autres femmes enceintes. Deux heures plus tard, ce sont les pompiers qui lui amè­ne­ront un nouveau-né enve­lop­pé dans une cou­ver­ture de survie, sa mère ayant accouché dans les embou­teillages sur le chemin de l’hôpital. Il est 10 h 28, la journée ne fait que commencer.

Après deux ans de service à Mamoud­zou, la jeune pro­fes­sion­nelle ori­gi­naire d’Alsace confesse vouloir bientôt tirer sa révé­rence. Un exploit, en réalité, pour l’une des plus ancien·nes employé·es de l’établissement, où le taux de renou­vel­le­ment du per­son­nel médical attei­gnait 209 % l’année dernière, selon un rapport d’activité interne mené par la direc­tion. « Nous avons tel­le­ment de mal à recruter que l’hôpital accepte de signer des contrats de trois mois seule­ment, explique Yasmine, tout en empilant les carnets de santé qui conti­nuent d’affluer sur son bureau. Le sous-effectif n’est pas que lié au budget, mais aussi aux condi­tions de travail : il y a environ 70 postes vacants à Mayotte, que nous devrions nor­ma­le­ment avoir pourvus pour assurer le minimum syndical. Sauf que personne ne veut venir tra­vailler ici. »

Baby-boom clan­des­tin

Avec 10 704 nais­sances en 2021, soit 17 % de plus qu’en 2020, la mater­ni­té de Mamoud­zou reste, d’année en année, la plus pro­duc­tive de France. Pour cause, c’est aussi celle qui voit passer le plus de mères de natio­na­li­té étran­gère. Trois quarts des nais­sances y sont donnés par des Como­riennes, la plupart arrivées clan­des­ti­ne­ment sur l’île — où le taux de natalité est supé­rieur à quatre enfants par femme. Cette forte sur­re­pré­sen­ta­tion se retrouve dans la démo­gra­phie du dépar­te­ment. Selon l’Insee, à Mayotte, près d’un·e habitant·e sur deux serait de natio­na­li­té étran­gère, des Comores pour la grande majorité, en tout plus de 300 000 per­sonnes. Un chiffre record en France, derrière Paris — qui en accueille plus de 330 000 — mais sans les infra­struc­tures adaptées.

Cette situa­tion explo­sive fait de la mater­ni­té de Mamoud­zou le cata­ly­seur de tensions impor­tantes. Au sein de la société et des pouvoirs publics, l’opinion domi­nante consiste à penser que les Como­riennes débarquent sur l’île juste avant leur accou­che­ment, dans le but d’obtenir la natio­na­li­té fran­çaise. En résulte même, depuis 2018, une modi­fi­ca­tion excep­tion­nelle du droit du sol à Mayotte avec la loi « Asile et immi­gra­tion ». Elle ajoute un frein spé­ci­fique au ter­ri­toire : il faut qu’au moment de la nais­sance, l’un 

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