Minelle, la nos­tal­gie en chantant

En surplomb du parc de Bel­le­ville, sinuant jusqu’à la place Krasucki, la rue des Envierges conserve les traces d’un Paris disparu. Au numéro 12, un bar-res­tau­rant, le bien nommé Vieux Bel­le­ville, organise des soirées autour des chansons réa­listes. Celles qui décrivent le quo­ti­dien des quar­tiers popu­laires, de la fin du XIXe siècle à 1950. Les week-ends, Minelle y res­sus­cite cette époque avec son accor­déon. Quand on chantait ensemble dans les bistrots.

Sylvie Fagnart & Teresa Suárez
Minelle a beau entonner des chansons réa­listes, elle ne raffole pas d’Édith Piaf. Ses idoles sont plutôt Cora Vaucaire, Fréhel ou Berthe Sylva.

Vingt-et-une heures, dis­tri­bu­tion des copies. Minelle a sorti une liasse de l’un de ses car­tables roses Barbie. Les habitué·es ne s’attendent pas à une surprise. La Java bleue (la java la plus belle) ouvre le bal, comme d’habitude. L’accordéon dia­to­nique envoie ses premiers vents mélo­dieux. Et l’assemblée entonne en chœur le tube de Fréhel.

Chaque vendredi et samedi soirs, cette accor­déo­niste entraîne la clien­tèle du Vieux Bel­le­ville dans un voyage nos­tal­gique. Dans l’un des derniers cafés chan­tants de la capitale — et cer­tai­ne­ment le plus authen­tique — à quelques enca­blures du lam­pa­daire de la rue de Bel­le­ville qui a vu naître Édith Piaf, le Paris popu­laire du début du XXe siècle refait surface.

Res­sur­gissent les esca­liers de la butte, durs aux miséreux. Et les ailes des moulins, pro­té­geant les amoureux. Nini Peau d’Chien, qu’on aime toujours bien à la Bastille, fait ensuite son entrée. Puis Madame la Marquise, à qui l’on continue de seriner que tout va très bien…

Les voix des chan­teurs et chan­teuses d’un soir ne sont pas toujours très assurées. Ni dans le tempo, en dépit du rythme impulsé par l’accordéon. Mais elles font revivre tous les tableaux, noirs et sans fards, de la chanson réaliste.

Dans le resto plein comme un œuf, la méca­nique de Minelle est bien huilée. Ses jupons fuchsia vire­voltent entre les tables serrées. Elle promène son ins­tru­ment le long du bar. Un air à peine terminé, il faut, vite, vite, ras­sem­bler les feuilles de paroles dis­sé­mi­nées sur chaque table. En redis­tri­buer une nouvelle fournée. Et se remettre à jouer. Allez, un coup de Piaf, pour faire plaisir aux touristes.

Rousse et chatoyante

Aussi étonnant que cela puisse paraître, au vu de l’endroit où elle se produit, Minelle n’est pas une fana­tique de la môme du XXe. Avec le portrait grandeur nature de la star, peint sur le mur du resto, l’accordéoniste ne montre pas grand-chose de commun. Elle est aussi rousse et cha­toyante que Piaf était pâle et sombre. Son habit de scène, qu’elle ne quitte d’ailleurs pas à la ville : de grandes robes indiennes colorées, serties de mini-miroirs. Aux pieds, une paire de Dr. Martens. Ses avant-bras sont couverts de larges bra­ce­lets d’argent, qui laissent appa­raître ses tatouages.

Une lumière espiègle s’allume dans son œil, quand elle raconte qu’il lui arrive de rabrouer celles et ceux qui réclament La vie en rose. « Je leur dis : revenez un mardi, c’est ce jour-là qu’on chante Piaf au Vieux Bel­le­ville », rigole Minelle la rebelle. Elle ajoute : « Je n’ai pas sa voix, de toute manière. » Ce qui ne l’empêche pas d’inscrire sys­té­ma­ti­que­ment Padam à son pro­gramme. Histoire d’éviter les frus­tra­tions trop intenses.

À l’exception des grands succès de Piaf, les chansons des années 1920, 1930, 1940… sont désor­mais loin des mémoires. Pour que les gens osent pousser la chan­son­nette, il faut dégainer de l’air connu. « Au moins un bout de refrain auquel se rac­cro­cher », explique Minelle. Et pour le reste, les couplets oubliés, il y a les feuillets.

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