Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Pour réussir, il faut partir

Faute de pouvoir étudier sur leur île, beaucoup de Mahorais·es s’envolent pour la métro­pole après leur bac. Une expé­rience parfois dou­lou­reuse, quand se conjuguent pression fami­liale, iso­le­ment et dif­fi­cul­tés scolaires. 

Raïnat Aliloiffa, Virginie de Rocquigny, Franck Tomps & Benoît Michaëly
L’aller-retour Paris-Dzaoudzi en avion coûte environ 900 euros en moyenne, une pression finan­cière sup­plé­men­taire pour celles et ceux qui sou­haitent étudier en métro­pole et revenir voir leur famille.

Du haut de ses 19 ans, Samina Attou­ma­ni est encore très attachée à sa mère. « Il n’y a qu’elle et moi à la maison », indique la jeune femme timide qui se cache constam­ment sous le châle qu’elle met sur sa tête et dans lequel elle enroule son cou. La pers­pec­tive de devoir la quitter l’angoisse pro­fon­dé­ment. Cepen­dant, elle n’a pas le choix. À l’image d’une grande partie des bachelièr·es de Mayotte, elle devra bientôt laisser son île natale derrière elle. 2 500 se sont envolé·es pour étudier à La Réunion ou en métro­pole en 2020. Selon Ibrahim M’Colo, le pré­sident de l’association Caribou Maoré, mobi­li­sée sur les ques­tions de départ et d’accueil des étudiant·es mahorais, « tous les ans, sur 4 000 bache­liers, 60 % quittent le ter­ri­toire. Ceux qui restent sont prin­ci­pa­le­ment des per­sonnes qui ont des dif­fi­cul­tés admi­nis­tra­tives et qui ne peuvent pas partir. » En par­ti­cu­lier celles et ceux qui ne pos­sèdent pas de papiers, et qui, après la ter­mi­nale, doivent demeurer à Mayotte peu importe leur parcours.

Ce fameux départ, autant attendu par certain·es que redouté par d’autres, ne revêt qu’un objectif : préparer leur avenir pro­fes­sion­nel. Dès leur entrée au collège, les enfants mahorais·es le savent : tôt ou tard, il faudra s’en aller. Samina veut pour­suivre une carrière dans l’immobilier, mais ne peut pas le faire dans le 101e dépar­te­ment de France. À Mayotte, les éta­blis­se­ments d’études supé­rieures sont peu nombreux. L’île possède quelques BTS dans les lycées ainsi qu’un Centre Uni­ver­si­taire de For­ma­tion et de Recherche (CUFR), mais la liste des cursus proposés est réduite. Des élu·es demandent depuis des années sa conver­sion en uni­ver­si­té de plein exercice. Force est de consta­ter que ce projet peine à se concrétiser. 

Samina ira donc à Toulouse. Si elle l’a choisie, ce n’est pas spé­cia­le­ment par amour pour la ville rose, mais plutôt par sécurité. « Ma grande sœur habite là-bas. Elle connaît la ville, le mode de vie, elle pourra m’aider », explique-t-elle. Un critère non négli­geable pour cette jeune femme qui n’a jamais vécu dans l’Hexagone. « Je n’y suis même jamais allée pour les vacances », souligne-t-elle. La future étu­diante ne devra pas payer de loyer et son aînée pourra l’aiguiller dans ses démarches, source de pro­blèmes pour bon nombre de Mahorais·es qui vont pour­suivre leur cursus en dehors de leur île. « Ils ne sont pas habitués à faire des démarches admi­nis­tra­tives. La plupart du temps, ce sont leurs parents qui font tout. Une fois qu’ils se trouvent en métro­pole, ils sont désem­pa­rés, livrés à eux-mêmes et ne savent pas quoi faire », explique Soi­dri­dine Sou­laï­ma­na, pré­sident et fon­da­teur de l’association Réseau Lahiki, qui prépare les bachelièr·es au grand départ. Samina en est consciente, rien ne sera simple. « Je n’ai pas envie d’y aller, souffle-t-elle. Si je pouvais rester à Mayotte, je le ferais. » Elle a inscrit dans ses vœux sur Par­cour­sup un BTS au lycée de Sada, dans l’ouest de l’île, et espère être acceptée, bien que cela ne cor­res­ponde pas à son projet pro­fes­sion­nel. « Psy­cho­lo­gi­que­ment, je ne me sens pas prête à partir. Je ne veux pas quitter ma mère », avoue-t-elle les larmes aux yeux. La sépa­ra­tion s’annonce dif­fi­cile, même si elle sait que ce moment arrivera un jour ou l’autre. Elle a choisi de repous­ser son envol jusqu’aux derniers jours des vacances sco­laires. « Ma mère ne réalise pas non plus que je ne serai plus près d’elle. Elle a espoir que le vœu à Sada soit accepté. » Sa crainte de cette nouvelle vie se porte éga­le­ment sur le dépay­se­ment. « Je vais aller dans une école où il y aura que des blancs ou presque. J’ai peur d’être mise à l’écart si je suis la seule Maho­raise », révèle la jeune fille. Malgré ses doutes et ses inquié­tudes, la bache­lière arrive à rela­ti­vi­ser et 

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