Rencontre avec Denis Blot, le sale c’est les autres

Dans le quartier de Belleville, certaines personnes dénoncent la saleté à coups de salves dans la presse, tandis que le mouvement #SaccageParis déplore une dégradation de la propreté dans la capitale. Que disent ces critiques et ont-elles réellement leur place ? Le sociologue Denis Blot, chercheur dans l’équipe Habiter le monde à l’université de Picardie Jules-Verne, remet cette question dans son contexte, en commençant par expliquer ce qu’est la propreté.

Manon Boquen & Benoît Michaëly
À Belleville après le marché, les poubelles sont pleines à craquer.

Puisque nous allons parler de propreté et de saleté, comment peut-on définir un déchet ?

Il y a une définition officielle et légale du déchet, qui n’est pas celle qu’utilisent les sociologues. Selon elle, c’est un objet abandonné ou voué à l’abandon par son propriétaire. Du point de vue des sciences sociales, notre référence s’appelle Mary Douglas. C’est une anthropologue britannique, qui a écrit notamment un ouvrage : De la souillure. Dedans, elle définit la souillure et la pollution comme des choses qui troublent l’ordre. Aujourd’hui, la plupart des sociologues définissent le déchet en partant de cette approche. Donc, pour répondre à cette question, je dirais qu’un déchet, c’est quelque chose qui trouble l’ordre. 

C’est une définition en opposition à autre chose.

En effet, dire que quelque chose est sale, ou que quelque chose est un déchet — dans la pensée courante, il y a une association entre le déchet et le sale — c’est une autre façon de pointer ce qui n’est pas sale, donc de désigner ce qui est ordonné. Ainsi, il n’y a pas de propre s’il n’y a pas de sale. 

Le déchet peut-il donc être tout et n’importe quoi en fonction de notre perception de l’ordre ?

Oui. Un déchet, c’est un objet qui n’est pas à sa place. On a par exemple des conflits autour des reliquats alimentaires : des gens jettent des restes alimentaires par les fenêtres, comme du pain, en disant que cela va nourrir les animaux et que c’est mieux que de les gaspiller. Il ne faut pas oublier que nettoyer chez soi, c’est maintenir l’ordre. Quelqu’un qui jette une canette par la fenêtre de sa voiture, on le dit sale. Mais en fait, on ne comprend pas ce geste : la personne est propre, elle est en train de nettoyer sa voiture ! C’est le même raisonnement pour les gens qui jettent le pain par les fenêtres. D’une part, ils rétablissent l’ordre chez eux, et d’autre part, ils trouvent une valeur dans ces déchets, qui n’en sont pas tout à fait puisque les pigeons les mangent. Simplement, d’autres personnes trouvent que ce geste est sale et un trouble à l’ordre, il y a un désaccord. 

Comment qualifier ce jugement, qui dit qu’un quartier comme Belleville est sale ?

Quand on travaille sur un quartier populaire, il faut faire preuve de relativisme. Dire que Belleville est sale, c’est un jugement situé. En revanche, pour les personnes qui déclarent que c’est sale — et ce ne sont pas n’importe lesquelles — c’est aussi une façon de dire qu’il y a des gens qui ne respectent pas les règles, qu’ils n’ont pas leur place ici. 

Qu’est-ce que cela dit des personnes qui professent ce raisonnement ? 

On ne peut pas produire du propre sans, aussi, produire du sale. C’est impossible. Quand vous vous lavez, vous salissez de l’eau. Dans les quartiers chics, où sont leurs saletés ? On ne les voit pas, mais elles existent tout autant : elles sont ailleurs, dans les quartiers pauvres. À l’échelle d’une ville, ce n’est pas facile à montrer, mais à l’échelle mondiale ça l’est : les nations riches envoient leurs déchets vers les nations pauvres. 

Par ailleurs, dans les quartiers populaires, vous avez une densité de population élevée. Si on compare Belleville aux XVIe, VIIe ou VIIIe arrondissements parisiens — les beaux quartiers —, il y a beaucoup moins de commerces et la densité de population est bien plus faible, ce qui facilite la propreté. Mais, si on rapporte le nombre de déchets produits à Belleville par habitant au volume de déchets produits dans ces arrondissements, je ne suis pas sûr que les proportions

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