Studio Belleville

L’histoire de Belleville est indissociable de celle du rap. Si le quartier s’est fait connaître dans les années 2010 grâce au triomphe de Mister You, de jeunes artistes tentent de marcher dans ses pas et d’embrasser le succès, tout en étant poussés dans la marge par la gentrification.

Simon Mauvieux & Valentina Camu
Le rappeur Miicrobe Blv tourne son nouveau clip. Parmi les lieux choisis pour filmer, le terrain de sport Jandelle, fréquenté par les jeunes du quartier de Rébeval.

Il est 18 heures, la nuit vient de tomber, Belleville s’éveille. Pendant que des groupes de jeunes inondent les terrasses de leurs éclats de rire, aux quatre coins du quartier, il se passe des choses que l’on ne voit pas. C’est pourtant de cette marge que proviennent la vitalité, la force et l’identité tant convoitées de Belleville. Sur le terrain de la cité Jandelle, Miicrobe Blv, un rappeur de 21 ans, tourne un clip, fumigène et feu d’artifice à la main. De l’autre côté de la rue de Belleville, Rannel, 21 ans, termine le mixage d’un son enregistré dans son home studio. À quelques blocs de là, vers la place Alphonse Allais, Walter, rappeur de 20 ans, se creuse la tête pour trouver ses futures rimes. Enfin, tout en haut du quartier, rue Piat, Issa réfléchit à la prochaine édition de son festival sportif et musical : Belleville en vrai.

« Me demande pas d’où je viens, mes gars vont te dire Belleville Zoo » — Walter

La place Alphonse Allais, dans le quartier de Ramponeau, au pied du parc de Belleville, est l’endroit incontournable pour aller à la rencontre du rap bellevillois. C’est Walter, qui fait la visite. Bonnet noir sur la tête, imper’ noir, la dégaine d’un mec normal, mais la précision d’un historien lorsqu’il parle de son quartier. Il commence par les bases : « Quand tu viens à Belleville, tu vois les bars, la communauté chinoise, tu te dis, c’est ça Belleville. Mais c’est ici Belleville, c’est nous Belleville. C’est la face cachée. Quand tu regardes une carte, la place ici, c’est au milieu, mais c’est cloisonné. » À Belleville, cohabitent quatre quartiers populaires : Piat, Ramponeau, Orillon et Rébeval, avec leur esprit de village, leur solidarité, leurs emmerdes aussi. C’est de ces quartiers qu’émergent les rappeurs locaux depuis que le rap est arrivé en France dans les années 80, surtout des mecs. « Des filles qui rappent ici, j’en connais pas », nous a-t-on répété. 

Derrière Walter, des petits tapent dans des ballons sur le nouveau city stade, planté sur une grande dalle de béton entouré de murets, de bancs et d’arbres. À part eux, la place est encore vide. « C’est plus comme avant, y’a même pas dix piges, c’était le centre du quartier, il y avait tout le monde, à cette heure-ci il y aurait eu du monde partout », semble-t-il regretter. Car la place a bien changé en dix ans.

Les descentes de police, les caméras postées à chaque coin de rue auront eu raison des trafics de drogues qui s’y déroulaient au grand jour. Le problème, dit Walter, c’est que tout ne s’est pas passé comme prévu. « On a grandi en voyant nos grands frères aller en prison, alors indirectement ça t’écarte de ça. Moi, dans ma génération, il y a de moins en moins de gens qui sont impliqués dans la rue, dans la vente. On est moins dans la violence qu’avant, sur ça ils ont réussi leur travail, mais de la mauvaise manière. » Car pour en arriver là, il en a fallu des descentes de police, des « coups de talkie dans la gueule des enfants », « des grenades lacrymogènes lancées sur les mamans ». Sur le sujet des violences policières, Walter parle de plus en plus vite et de plus en plus fort. Né de parents algériens, il a très vite compris qu’il serait toujours assigné à ses origines par la police : « Quand t’es petit, ils essaient d’inviter des policiers à l’école, mais c’est mort poto, ce qu’ils font les keufs devant nous dans la rue, c’est un truc de ouf. T’es petit, tu te manges déjà des tartes, parce que tu fais des conneries. Moi j’me suis déjà pris des claques par des policiers, des moqueries, des insultes, c’est quotidien, et dès que t’es petit, t’es conditionné à ne pas les aimer, c’est comme ça. »

« Génération zoogataga, grandie sur du Mister You » — Miicrobe blv

Cette place, où l’on peut voir désormais des familles aisées se promener avec leurs marmots, garde en elle la mémoire du quartier, celle de son enfance où l’on jouait au foot, deux sacs en guise de but, entre un groupe de dealers et des mamans qui vendaient des pastèques en été. Walter était ce minot qui déambulait parmi les voyous, observait les embrouilles des grand·es, ou se prenait à rêver devant la Bugatti du footballeur Lassana Diarra, qui revenait dans son quartier de temps en temps. Le temps est passé, l’endroit a changé, en bien ou en mal, il ne sait pas. « Je crois en nos petits, eux ont moins de problèmes que nous, comme nous on a eu moins de problèmes que les grands », lance-t-il dans un élan d’optimisme. Désormais, c’est lui qui construit son propre avenir sur

[…]
Pour poursuivre votre lecture et soutenir notre projet, nous vous invitons à commander la revue papier.

Pays est une revue indépendante, sans publicité, éditée par ses quatre cofondateurs et cofondatrices. Pays, la revue qui nous entoure, s’intéresse à un nouveau territoire pour faire mieux que découvrir : comprendre.

Livraison gratuite en France.