Une autre jeunesse chrétienne

À la lisière du quartier de Bel­le­ville, le Dorothy, café asso­cia­tif portant le nom de l’anarchiste catho­lique amé­ri­caine Dorothy Day, conjugue action sociale, ateliers manuels et activité intel­lec­tuelle depuis sa création en 2017. Dans cette utopie com­mu­nau­taire s’invente une jeunesse chré­tienne à mille lieues des clichés répandus.

Timothée de Rauglaudre & Morgane Delfosse
Le père Alban Massie, théo­lo­gien bruxel­lois, donne une confé­rence autour de la vie de saint Augustin pour une cin­quan­taine de per­sonnes dans le café du Dorothy.

Si l’on n’y prenait garde, en remon­tant la rue de Ménil­mon­tant, on pourrait presque ne pas remar­quer la discrète devan­ture rouge foncé, coincée entre une boutique et un cabinet médical qui ont baissé leur rideau. Le mur adjacent a été repeint, mais, il y a encore quelques mois, on y lisait : « ZAD partout, viva le Dorothy ! » Nul ne soup­çon­ne­rait, de dehors, les 430 mètres carrés — sans oublier les 150 du jardin — que recèle le Dorothy. Un vendredi après-midi, à l’abri de la fraî­cheur de janvier, des béné­voles servent, derrière le comptoir, des boissons chaudes gra­tuites ou des bières à deux euros. Quatre après-midis par semaine et un dimanche par mois, le lieu ouvre ses portes à toutes et tous. Certains jours, des asso­cia­tions exté­rieures pro­posent du soutien scolaire, de l’aide infor­ma­tique ou admi­nis­tra­tive, de l’accueil des per­sonnes sans papiers. L’« accueil de jour » est né, comme une évidence, à l’issue du premier confi­ne­ment. On y croise des habitant·es du quartier, pré­caires ou isolé·es, des sans-abris, parfois des étudiant·es en quête de tran­quilli­té. Dans une atmo­sphère feutrée, les habitué·es se saluent, les piliers de comptoir débattent poli­tique, religion ou poésie. Toutes les géné­ra­tions s’y croisent ; si les après-midis sont géné­ra­le­ment calmes, cer­taines confé­rences du soir peuvent accueillir jusqu’à une centaine de personnes.

Près de la biblio­thèque, sur un rocking chair, « Captain Freddy » feuillette un livre sur la « révo­lu­tion du pape François ». Ce chanteur de reggae doit son surnom à la cas­quette de marin qu’il ne quitte jamais. Dès l’ouverture du Dorothy, fin 2017, il accom­pa­gnait l’inauguration du lieu avec sa guitare. L’homme au manteau rouge fait qua­si­ment partie des murs. « J’aime bien discuter avec des gens du quartier, des SDF. À un moment, j’étais sans logement. » Frédéric Dubois, de son vrai nom, a grandi dans une famille de la « vieille France tra­di­tion­nelle ». Puis il a beaucoup voyagé, a ren­con­tré d’autres sen­si­bi­li­tés reli­gieuses. Aujourd’hui, il se dit, avec la touche d’humour qui le carac­té­rise, pra­ti­quant « tous les trente-six du mois ». La messe, il la fré­quente surtout pour les fêtes. « Je n’ai pas besoin d’aller à l’église ou au temple pour pra­ti­quer. Dieu est partout. »

Au Dorothy, Captain Freddy vient chercher un « car­re­four » où peuvent se retrou­ver des per­sonnes aux croyances et aux idées très dif­fé­rentes. Ce chrétien « alter­mon­dia­liste » rêve d’y voir un jour un débat sur l’antiracisme. « Ça fait partie de l’âme du lieu », explique‑t‑il. L’artiste a connu l’endroit avant qu’il devienne le Dorothy, quand il était un « haut lieu de la lutte anti­ra­ciste en France ». Alors étudiant, il par­ti­ci­pait à des réunions et des mani­fes­ta­tions ras­sem­blant des dizaines de milliers de per­sonnes, à l’initiative d’un prêtre lyonnais. « C’est un centre qui a d’abord été animé par des parois­siens, avec un prêtre des années 1970 extrê­me­ment engagé, à l’époque où il y avait des vagues d’immigration très impor­tantes dans le quartier, raconte Foucauld Giuliani, 31 ans, cofon­da­teur du Dorothy. Il a d’abord ouvert ce lieu comme centre social pour l’alphabétisation. Puis il y a eu une vague de sécu­la­ri­sa­tion très forte dans le quartier, donc fina­le­ment c’est devenu un centre social géré par la CAF de Paris. Il y a cinq ans, la paroisse a voulu récu­pé­rer les murs. »

« Conver­sion communautaire »

La dis­po­ni­bi­li­té du lieu rejoint alors un désir que mûrit Foucauld Giuliani depuis plus d’un an. Ce pro­fes­seur de phi­lo­so­phie aux yeux clairs et aux cheveux châtains mi-longs, ori­gi­naire de Lyon, a d’abord effectué un service civique, après ses études à Sciences Po, au sein du Rocher. L’association d’éducation popu­laire a été fondée par l’Emmanuel, une com­mu­nau­té catho­lique cha­ris­ma­tique, laquelle s’inspire

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