Cet article est issu du numéro de Pays consacré à Mayotte.

Une autre laïcité

95 %, c’est la part de la popu­la­tion maho­raise de confes­sion musul­mane. Entre une influence cadiale en perte de vitesse, un islam tolérant, l’omniprésence des rites tra­di­tion­nels et le syn­cré­tisme cultuel, Mayotte se pose en exemple de plu­ra­lisme reli­gieux et culturel.

Jaïdi Maoulida & Nicolas Melemis
Affiches de campagne pour les élec­tions légis­la­tives de juin 2022. Sur l’une d’elles, la can­di­date sup­pléante Ahamada Moizari porte le foulard. Il y a débat autour de l’origine de celui-ci à Mayotte pour savoir s’il est tra­di­tion­nel ou religieux.

L’ambiance est à la fête en Petite-Terre en ce mois de juin 2022. Tous les pré­pa­ra­tifs sont terminés, il faut main­te­nant aller célébrer l’arrivée du Docteur Syedna Ali Qadr Mufaddal Saï­fud­din, le guide spi­ri­tuel de la com­mu­nau­té des Dawoodi Bohras, une branche chiite ismaé­lienne. Venu spé­cia­le­ment de Bombay, en Inde, pour ren­con­trer ses fidèles — on en compte environ 250 à Mayotte — il a reçu un accueil en grande pompe de la part des auto­ri­tés. La popu­la­tion s’est réunie place du Congrès à Pamandzi, mais on trouvait aussi son premier édile ainsi que celui de Dzaoudzi-Labat­toir et des membres du conseil cadial de Mayotte, qui repré­sente le pouvoir reli­gieux sur l’île. « Ici nous sommes sunnites, mais vous voyez, on est ouverts aux autres formes reli­gieuses. Cela se passe toujours comme ça à Mayotte », sourit Madi Madi Souf, le maire de Pamandzi. Vêtu de son plus bel habit tra­di­tion­nel et d’une écharpe tri­co­lore, il a prôné, en com­pa­gnie des dif­fé­rentes per­son­na­li­tés pré­sentes, le vivre ensemble et la paix. 

Une scène révé­la­trice du mul­ti­cul­tu­ra­lisme local, où les courants et les croyances se côtoient, semble-t-il, plus faci­le­ment qu’ailleurs. À Mayotte, selon la pré­fec­ture, 95 % de la popu­la­tion est de confes­sion musul­mane. Le Sénat évoque quant à lui noir sur blanc que « les Mahorais ont une pratique modérée de l’Islam ». Ce qui se traduit par une absence de reven­di­ca­tions liées à la religion sur le ter­ri­toire et une coha­bi­ta­tion ancrée sur l’île depuis bien longtemps.

Des racines isla­miques anciennes

Dif­fi­cile de dater avec pré­ci­sion l’arrivée de l’islam à Mayotte, au vu du manque d’aboutissement des recherches actuelles. Néan­moins, celle-ci serait liée aux réseaux com­mer­ciaux qui relient le Moyen-Orient à l’Afrique, dont la trame s’est tissée dès le com­men­ce­ment du premier mil­lé­naire. D’après les travaux de Martial Pauly, archéo­logue associé au Centre de recherches sur l’océan Indien occi­den­tal et le monde aus­tro­né­sien, « en l’état actuel des connais­sances, il ne fait plus aucun doute que les débuts de l’islamisation de Mayotte s’inscrivent durant la période médié­vale, au cours des x e — xii e siècles. Celle-ci s’est déroulée dans un contexte d’expansion du commerce maritime en Afrique orien­tale, impulsée par des mar­chands isla­mi­sés du golfe Persique. » 

Pour en témoi­gner, il évoque le site de Bagamoyo en Petite‑Terre, où se trouve une sépul­ture musul­mane estimée du IXe au XIe siècle, la plus ancienne décou­verte à ce jour. L’archéologue men­tionne éga­le­ment la mosquée d’Acoua, dans le nord-ouest de Grande-Terre, qui date de la période médié­vale. Son archi­tec­ture cor­res­pon­dant aux mosquées swa­hi­lies des Xe — XIIIe siècles et présente une tech­nique de construc­tion intro­duite par des marins ori­gi­naires du golfe Persique. Par la suite, au fil des décen­nies, l’islam s’est ancré dans le paysage jusqu’à inspirer des rites et des coutumes encore gravés dans

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