C’est l’histoire d’une aube à Belleville. Pas de celles qui sentent la fleur et la romance, mais qui puent la vinasse. Un matin mythique, mêlant malt et scandales. La nuit qui le précède, celle de Mardi gras, est déjà bien avinée ; tout ce que Paris comptait de débauchés et de pochtronnes était venu s’abreuver dans le coin pendant plusieurs jours. Deux siècles auparavant, en février 1822, démarrait ainsi aux aurores la première Descente de la Courtille, un défilé ivre et absurde qui coulait du sommet de Belleville à l’Hôtel de Ville de Paris. Encore en costume, les fêtard·es cueillaient d’un bistrot à l’autre leurs camarades de beuverie. Une procession prenait vie dans la rue et dégringolait en vacarme au cœur de Paris. Au petit jour, c’était le début du carême et le retour à la routine. Des gueules de bois par centaine. Très vite couru, l’événement se répéta chaque année et fut chaque année un succès populaire. Le Charivari, un quotidien satirique, écrivait à son propos : « […] Jusqu’à la fin des siècles et du carnaval, les Parisiens se laisseront éternellement mystifier par la Descente… »
Et pourtant, la Descente tomba dans l’oubli. À la fin du XIXe siècle, la parade n’occupe plus le pavé, seul son nom demeure dans les mémoires. Avant d’en disparaître aussi. Aujourd’hui qu’en reste-t-il ? Un plot de pierre, perdu dans le paysage de Paris. Sur un bout de trottoir, la stèle en béton est placée stratégiquement au premier départ du défilé. Soit l’actuelle station Belleville.
Mélange des gens et des genres
Au milieu de l’indifférence ambiante, un homme paraît le chérir sincèrement, ce plot grisâtre. Mi-serveur, mi-conservateur de musée, Makhlouf Slimani donne l’impression de tout savoir sur les légendes du quartier. « On n’est pas que des porteurs de plateaux, moi je vis pour ces petites histoires », lance-t-il en se redressant. Avec ses minces lunettes tombant sur le bout du nez, Makhlouf balade son air de prof d’un bout à l’autre de son bistrot, La Vielleuse. Même s’il n’est là que pour six mois, le quinqua connaît l’histoire du café par cœur. « Ça me chagrine un peu que les clients ne connaissent pas mieux l’endroit. C’est le plus ancien bar du quartier, qui date d’une époque où c’était très animé par ici, dans les années 1820. Aujourd’hui, il ne reste pas vraiment de traces, tout a été rénové. Sauf le petit écriteau sur la Descente de la Courtille dehors et le miroir à l’entrée. » De l’index, il désigne avec fierté