Une bonne descente

Il y a deux siècles se tenait la première Descente de la Cour­tille, sorte de défilé offi­cieux, qui concluait le carnaval et illu­mi­nait chaque année Bel­le­ville. Oubliée depuis, son esprit flotte toujours sur le quartier.

Roni Gocer & Philippe Labrosse
La Descente de la Cour­tille a fait de Bel­le­ville une terre festive. Un esprit que l’on ressent toujours aujourd’hui, dès que le soleil se couche.

C’est l’histoire d’une aube à Bel­le­ville. Pas de celles qui sentent la fleur et la romance, mais qui puent la vinasse. Un matin mythique, mêlant malt et scan­dales. La nuit qui le précède, celle de Mardi gras, est déjà bien avinée ; tout ce que Paris comptait de débau­chés et de poch­tronnes était venu s’abreuver dans le coin pendant plu­sieurs jours. Deux siècles aupa­ra­vant, en février 1822, démar­rait ainsi aux aurores la première Descente de la Cour­tille, un défilé ivre et absurde qui coulait du sommet de Bel­le­ville à l’Hôtel de Ville de Paris. Encore en costume, les fêtard·es cueillaient d’un bistrot à l’autre leurs cama­rades de beuverie. Une pro­ces­sion prenait vie dans la rue et dégrin­go­lait en vacarme au cœur de Paris. Au petit jour, c’était le début du carême et le retour à la routine. Des gueules de bois par centaine. Très vite couru, l’événement se répéta chaque année et fut chaque année un succès popu­laire. Le Cha­ri­va­ri, un quo­ti­dien sati­rique, écrivait à son propos : « […] Jusqu’à la fin des siècles et du carnaval, les Pari­siens se lais­se­ront éter­nel­le­ment mys­ti­fier par la Descente… »

Et pourtant, la Descente tomba dans l’oubli. À la fin du XIXe siècle, la parade n’occupe plus le pavé, seul son nom demeure dans les mémoires. Avant d’en dis­pa­raître aussi. Aujourd’hui qu’en reste-t-il ? Un plot de pierre, perdu dans le paysage de Paris. Sur un bout de trottoir, la stèle en béton est placée stra­té­gi­que­ment au premier départ du défilé. Soit l’actuelle station Belleville.

Mélange des gens et des genres

Au milieu de l’indifférence ambiante, un homme paraît le chérir sin­cè­re­ment, ce plot grisâtre. Mi-serveur, mi-conser­va­teur de musée, Makhlouf Slimani donne l’impression de tout savoir sur les légendes du quartier. « On n’est pas que des porteurs de plateaux, moi je vis pour ces petites his­toires », lance-t-il en se redres­sant. Avec ses minces lunettes tombant sur le bout du nez, Makhlouf balade son air de prof d’un bout à l’autre de son bistrot, La Viel­leuse. Même s’il n’est là que pour six mois, le quinqua connaît l’histoire du café par cœur. « Ça me chagrine un peu que les clients ne connaissent pas mieux l’endroit. C’est le plus ancien bar du quartier, qui date d’une époque où c’était très animé par ici, dans les années 1820. Aujourd’hui, il ne reste pas vraiment de traces, tout a été rénové. Sauf le petit écriteau sur la Descente de la Cour­tille dehors et le miroir à l’entrée. » De l’index, il désigne avec fierté

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