« À manger s’il vous plaît, on a faim. » La scène se déroule rue des 100 Villas, à Mamoudzou, la commune chef-lieu du département. Dans ce quartier huppé, où résident médecins, entrepreneur·es et autres cadres, deux gamins fouillent les poubelles en quête de nourriture, ou de quelque chose à revendre. Le Graal pour eux : les bouteilles d’eau vides en bon état, qu’ils proposent aux marchandes de « poutou », la pâte de piment local écoulée sur les étals. Une maigre source de revenus pour ces enfants des rues, que l’on retrouve aussi en train de mendier devant les magasins.
Pourtant, si l’on s’en tient aux chiffres fournis par l’Institut national des statistiques et études économiques (Insee), l’économie mahoraise est en plein boom, et l’on devrait s’attendre à voir la misère disparaître. Il n’en est rien. En 2020, l’Insee a publié une enquête sur la pauvreté dans le 101e département français. Elle « montre que malgré les discours assez positifs sur une augmentation du Produit Intérieur Brut (PIB) par tête à Mayotte, les indicateurs économiques moyens sont en croissance, mais ils ne sont pas bons », résume Loup Wolff, le directeur de l’antenne locale de l’Insee.
Avec un produit intérieur brut par habitant inférieur à 10 000 euros par an, Mayotte détient le triste record du plus faible PIB de France. Mais aussi un des plus importants de l’océan Indien. Ce PIB est « très au-dessus de ce qu’on observe dans les pays de la région, aux Comores ou à Madagascar. Cela fait partie de l’ambivalence de Mayotte : c’est le territoire le plus en difficulté de France, mais dans sa zone géographique, c’est le plus riche », poursuit le jeune directeur, cheveux noirs et barbe soignée. Le résultat, c’est une immigration très forte en provenance de ces deux pays voisins qui comptent parmi les plus pauvres de la planète. Les reconduites à la frontière, au nombre de 23 000 en 2021, donnent une idée de l’ampleur du phénomène qui participe à paupériser l’île.
Un fossé de plus en plus grand
Mais l’immigration suffit-elle à expliquer un tel contraste ? Si l’on recoupe les études récentes de l’Insee à Mayotte, sur les entreprises, le logement et la pauvreté, un constat saute aux yeux. « Une chose assez forte, c’est une augmentation manifeste des inégalités, pointe Loup Wolff. La tension croît entre une fraction de la population qui travaille et dont les conditions de vie s’améliorent et une autre partie qui ne travaille pas, ou de manière informelle, et s’appauvrit. » Le dernier recensement indique par exemple que 40 % des logements du département sont en tôle, parfois répartis dans d’immenses bidonvilles situés sur les hauteurs escarpées, parfois cachés au cœur des villages, dans des jardins loués par des propriétaires malhonnêtes.
Ces inégalités ne vont pas sans une montée, elle aussi constatée par l’Insee, de l’insécurité. En 2018, un vaste mouvement social contre la délinquance et pour le développement de l’île a paralysé Mayotte durant plusieurs mois. Déclenché par des caillassages de cars scolaires, il a réuni
